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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

vaise saison, est méprisée des musulmans comme un aliment vil, une nourriture des Francs. Après s’être servis tout l’hiver d’alimens échauffans, ils ne se nourrissent presque plus que de melons d’eau, de citrouilles, de concombres, de betteraves et d’énormes navets, qu’ils mangent le plus souvent crus. Chrétiens et musulmans boivent la slivovitsa (eau-de-vie de prunes), comme on boirait de l’eau. Tout le terrain autour des villages est planté de pruniers destinés à la préparation de ce breuvage, qui remplace le vin refusé par la nature aux rudes montagnes de la Bosnie. Les enfans n’ont d’autre breuvage que l’eau, bien qu’elle soit très froide dans ce pays et donne de violentes coliques.

Les maladies sont ordinairement inflammatoires, et presque toujours elles viennent de refroidissemens. Dans ce dernier cas, le Bosniaque se fait saigner, boit de l’eau-de-vie brûlante mêlée de poivre ou de poudre à fusil, puis s’enveloppe dans ses peaux de mouton et tâche de transpirer. Il y a bien en Bosnie quelques docteurs européens à la solde des pachas, mais on leur préfère généralement les esculapes indigènes. Ces guérisseurs accompagnent leurs cures de procédés bizarres. Ainsi, pour rendre l’ouïe à un homme menacé de surdité, ils lui mettent dans l’oreille le bout d’un cierge creux en cire jaune, et allument le cierge par l’autre bout ; ils le laissent brûler tout entier pendant que la tête du malade est enveloppée le plus chaudement possible ; cette opération se renouvelle jusqu’à parfaite guérison. Souvent ces sorciers, comme les astrologues grecs, tirent l’horoscope de leur patient. Ils écrivent en slave son nom, celui de son père, enfin ceux de sa famille et de sa tribu ; puis, comme chaque lettre slave représente une quantité numérique, ils additionnent tous ces nombres, divisent, multiplient, découvrent quels sont les astres amis et les planètes ennemies du malade ; enfin, d’après ces données, ils fixent le traitement. Ces sorciers sont aussi chirurgiens, et des médecins très éclairés reconnaissent qu’ils les ont souvent vus guérir radicalement des blessures qui, traitées à l’européenne, auraient nécessité l’amputation. En revanche, ils sont impuissans contre les maladies internes : aussi, quand un Bosniaque souffre d’une de ces maladies, la famille se hâte-t-elle de le mettre sur un cheval et de le conduire au couvent le plus voisin, où les moines lisent tranquillement l’Évangile sur sa tête pendant qu’il tremble la fièvre. Les prières du vladika des Monténégrins sont considérées dans ce cas comme le plus puissant de tous les remèdes ; mais, comme il pourrait être dangereux, surtout en temps de guerre, d’aller réclamer du