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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

LA MOBA.

« L’intendant de Mourat-Beg, l’avare kiaia Koptchitj, pousse au travail cent faucheurs et deux cents moissonneurs, et leur dit : — Celui qui arrivera demain ici après le lever du soleil recevra trois cents coups de bâton, et je le jetterai au fond d’un cachot d’où il ne sortira qu’au retour de Mourat-Beg. Or, le beg ne reviendra de l’armée que dans sept ans. — Toute la moba tremblante se trouva le lendemain avant l’aube au rendez-vous du travail : Tomitj Miiat resta seul en arrière, et, d’un air décidé, arriva après le lever de l’aurore, sa longue carabine sur l’épaule, et tenant à la main sa faux avec sa pierre à aiguiser.

« À sa vue, le kiaia s’écrie : — Ce que j’ai promis, je le tiendrai ; tu recevras, Miiat, trois cents coups de bâton, puis je te jetterai dans un cachot, d’où tu ne sortiras qu’au retour de notre beg, qui ne reviendra que dans sept ans. En entendant ces menaces, le jeune Miiat jette sa faux au kiaia, et fuit vers la vaste montagne. Il y rôde, cherchant des compagnons, et dès qu’il en a trouvé sa première course est contre le cruel kiaia Koptchitj.

« Ayant rencontré Ali, l’un des bergers du kiaia, Miiat lui demande dans quelle partie du konak loge et dort l’épouse du beg. — Elle loge, répond le berger Ali, dans la plus haute tour au fond de la cour pavée ; c’est là qu’elle prend ses repas et qu’elle dort, sous la garde de douze delis qui, armés de fusils luisans, veillent à la porte de fer. — Eh bien ! dit le haïdouk, apprends que je suis le harambachi Miiat. Rassemble tes moutons, tue vite un bélier, et va servir aux douze delis un vin généreux qui les enivre et me permette d’aborder plus facilement la koula, dont je veux enlever les richesses. Nous partagerons avec toi le butin dans la montagne.

« Le berger obéit, et, en apportant aux douze gardiens leur repas du soir, il leur servit un vin si fort, qu’ils tombèrent tous ivres, et endormis pêle-mêle comme des morts sur un champ de bataille. À minuit, Tomitj Miiat arrive avec douze compagnons ; il s’avance vers la porte de fer, et, prenant une voix de jeune fille, il se met à pousser des plaintes comme ferait une pauvre esclave sans maîtres : — N’est-ce pas ici le palais de Mourat-Beg ? Ne pourrai-je ici passer le reste de mes jours ? Ne pourrai-je ici reposer mes os ?

« Le jeune fils du kiaia l’entend et répond : — Pauvre fillette, on t’ouvrira ; mais ne te plains pas si haut, car tu éveillerais notre bonne maîtresse. Toute servante doit savoir filer doucement et joliment broder, tisser avec vitesse et faire un tissu fin, et dénouer habilement la ceinture de la maîtresse. Cependant la dame, du haut de son pavillon, entendit les plaintes de la mendiante, et dit à son esclave Koumria d’aller ouvrir ; mais la légère suivante répondit : — Princesse, je n’ose descendre ; je crains qu’il n’y ait sous le portique quelque beg endormi. La dame s’irrite : — Fille impure, chienne d’esclave, quel beg oserait venir dormir sous les portiques, au pied de ma blanche tourelle ? Dans