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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

qui était la commère de Miiat, et connaissait à fond l’art de guérir, pansa les plaies du blessé, le soigna durant deux mois, et lui rendit toutes ses forces. Alors Miiat dit à son compère Élie : — Knèze, va au bazar de Saraïevo acheter du vin, de la poudre et du plomb de haïdouks, car je veux aller chercher compagnie et me réconcilier avec Jeravitsa. — Élie part pour la ville.

« Pendant ce temps arrivait en Bosnie un firman du tsar turc qui mettait à prix la tête de Miiat, offrant trois sacs d’or et trois beaux spahiliks à quiconque irait le prendre dans la montagne. Ceux qui entendaient lire le firman feignaient de ne point l’écouter et parlaient d’autre chose, tant Miiat inspirait de terreur à tous les Turcs. Enfin un capitaine arabe, ancien ami de Miiat, s’engage à le livrer vivant. Il prend son sabre de Damas et sa longue carabine, et monte son cheval rapide pour aller chercher le proscrit à travers les défilés. Chemin faisant, il rencontre le knèze Élie, qui rapportait de la ville deux charges de vin : — Y a-t-il chez toi un repas de deuil ou un banquet joyeux auquel tu destines ces provisions ? — Il n’y a point de deuil dans ma maison, répond Élie, mais il y a joie, car Miiat et ses trente compagnons souperont ce soir chez moi. — Au nom d’Allah, s’écrie l’Arabe, livre-moi vivant ce grand haïdouk pour que je lui coupe la tête, et je te donnerai en retour trois sacs d’or. — Le knèze se laissa séduire, il accepta l’offre, et dit au noir d’Arabie de se présenter chez lui à l’heure du souper ; puis ils se séparèrent, et Élie revint au village.

« En le voyant arriver dans sa cour, Miiat vole au-devant de son compère et cherche la provision de poudre ; il n’aperçoit que des outres pleines de vin, et le knèze lui déclare qu’il n’a trouvé au bazar que de la mauvaise poudre, dont ne peuvent se servir les haïdouks : Miiat ne soupçonne rien. Le soir venu, les amis se mettent à table. Miiat buvait gaiement, lorsqu’il sentit sur son front tomber des larmes, et aperçut derrière lui sa commère debout qui pleurait en lui versant à boire. — Douce Marina, s’écria-t-il, d’où viennent tes larmes ? Crains-tu que je ne te paie pas les soins et les frais que t’a coûtés ma guérison ? — Oh ! je ne veux point, reprit Marina, que tu me paies les frais de ton séjour ni mes soins. Je pleure à la pensée qu’il faut nous séparer, et que d’affreux tourmens t’attendent, car Élie veut te livrer à l’Arabe. — Miiat, à ces mots, regarde vers la porte ; dans ce moment même entrait le noir capitaine, et des coups de fusil partis du dehors abattirent le pauvre haïdouk.

« Mais un neveu de Miiat, Marianko, s’élance armé par la fenêtre, et s’échappe vers la montagne, où il tire un coup de carabine. Le coup retentit au loin et va réveiller sur les verts sommets Vouk Jeravjtsa, qui, à ce bruit, appelle les siens. — Gloire à nous, chers compagnons, voilà que Miiat est guéri ! Au nom de Dieu, je vous conjure d’aller le trouver, et de me réconcilier avec lui ! Aussitôt les haïdouks descendent ; mais ils rencontrent Marianko tout meurtri, qui leur apprend la trahison du knèze de Bobovo, et comment l’Arabe et les soldats turcs boivent avec Élie du vin frais dans sa koula. Jeravitsa pleure à chaudes larmes la mort de Miiat, tous les haïdouks