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aucune mosquée dans les campagnes ; elles se trouvent toutes à l’intérieur des forteresses. Les spahis seuls ont quelquefois osé bâtir leurs villas d’été dans des bourgades chrétiennes ; ces villas sont des cabanes qui ne se distinguent de celles du raïa que parce qu’elles sont badigeonnées en blanc et entourées de bosquets verts et de chapelles sépulcrales où dorment les aïeux du spahi.

Les Bosniaques ont quatre villes principales : Travnik et Zvornik, qui ne comptent plus chacune que cinq à six mille habitans, Novibazar, qui en a encore dix à douze mille, et la grande Saraïevo ou Bosna-Seraï, qui eut autrefois cent mille citoyens, et en compte encore plus de quarante mille. Saraïevo est pour les Bosniaques la cité idéale ; si vous leur parlez de Paris, ces fils des forêts vous répondent : Paris surpasse-t-il donc en beauté Saraïevo ? On ne peut nier que cette capitale n’offre un aspect des plus imposans au voyageur qui, sortant des gorges étroites des montagnes, la découvre tout à coup au fond d’un vaste bassin ou plutôt d’un jardin délicieux arrosé par mille ruisseaux. Ses tours, ses minarets en tuiles vernies et de couleurs variées, ses kiosques, ses bazars à coupoles de plomb, se groupent en amphithéâtre autour d’un vaste fort quadrangulaire bâti en 1270. Ce fort, flanqué de douze énormes tours, et dont les remparts ont deux toises d’épaisseur, s’élève à pic du fond de la vallée, dominé par la montagne, au versant de laquelle il s’appuie. Malgré son mauvais état, il offrirait à des vaincus, par son escarpement, un refuge précieux. Le prince Eugène, qui pénétra jusqu’à Saraïevo avec l’armée autrichienne, ne put forcer cette citadelle, et comme on ne possède point la Bosnie tant qu’on n’a pas Saraïevo, le héros victorieux dut rétrograder jusqu’à la Save, de peur d’être cerné. La population de Saraïevo se partage entre trois communions religieuses : musulmane, schismatique grecque et catholique latine. Malgré sa décadence, elle fait encore un commerce important, les manufactures d’armes et d’orfèvrerie continuent d’y prospérer, et, de cette ville à Stambol, des caravanes circulent constamment. Il faut regretter qu’elle ne se trouve pas sur une rivière navigable. Le torrent écumeux de la Migliaska, qui la traverse, malgré ses nombreux ponts de pierre à élégantes arcades, est inutile pour l’industrie ; au sortir de la ville, il redevient sauvage comme avant d’y être entré, et roulant dans les solitudes, sous l’ombre des sapins gigantesques, il n’arrose que des ruines de châteaux où se retirent l’hiver les bergers et les brigands.

Dans cette turbulente Bosnie, Saraïevo est resté une république autonome qui a son sénat, élit ses magistrats, et peut même ren-