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Dans cette longue guerre, les Autrichiens avaient dû leur triomphe aux Serbes. Cependant l’empereur d’Autriche, suivant l’usage des princes occidentaux, sacrifia aux Turcs les chrétiens schismatiques, dont tant de milliers étaient morts pour sa cause. Ces malheureux, ainsi livrés à la vengeance des spahis, eurent à subir les plus affreuses cruautés. L’instant parut favorable à la Porte pour jeter le masque ; elle ordonna à ses visirs de Belgrad et de Bosnie d’agir désormais en protecteurs particuliers des raïas. Les spahis bosniaques ne tardèrent pas à s’apercevoir que ce nouveau système administratif tendait à leur ruine, et une coalition générale de tous les begs serbes s’organisa sous la direction d’Ali-Vidaïtj, beg de Zvornik. Le feu de la révolte se communiqua de la Bosnie aux spahis du Danube, qui, aidés par le Bulgare Pasvan-Oglou, s’emparèrent de Belgrad, où les Bosniaques établirent aussitôt le centre de leurs opérations et le siége de leur gouvernement provisoire

Le pouvoir exécutif de cette république serbo-musulmane se composait de cinq membres : Vidaïtj, Aganlia, Koutchouk-Ali, Mollah-Ioussouf et Fotchitj-Mehmet. Vidaïtj, avec ses janissaires, parcourait les villages bosniaques, faisait saisir et enchaîner les raïas, et exigeait qu’ils se vendissent à lui comme esclaves, ou bien sur leur refus il les torturait cruellement. Les quatre autres chefs se livraient, sur la Save et en Serbie, à des violences non moins atroces. Dans chaque village chrétien, ils substituaient aux knèzes raïas un soubachi musulman avec douze janissaires pour rendre la justice et lever les impôts. Les knèzes ayant osé adresser leurs plaintes au visir, les spahis, pour se venger, se mirent à parcourir les nahias, souillant les églises et enlevant les ornemens sacerdotaux, afin d’en faire des caparaçons pour leurs chevaux arabes. Dans leurs haltes, ils rassemblaient toutes les jeunes filles du lieu, les forçaient à danser devant eux le kolo parées de leurs plus beaux vêtemens, puis ils les déshonoraient et les renvoyaient nues dans leurs chaumières. L’armée de ces bandits se grossissait incessamment de janissaires serbes que les réformes européennes du divan décidaient à quitter Constantinople pour rentrer dans leurs foyers. Le quart de la Turquie d’Europe était aux mains de ces révoltés, qui exerçaient les plus horribles déprédations. Vidaïtj avait rempli son château héréditaire de Zvornik d’un prodigieux amas de dépouilles. Ses quatre associés du Danube, devenus célèbres en Orient sous le nom de daïs ou dahis, luttaient de rapacité avec Vidaïtj ; et entassaient des tonneaux d’or dans leurs quatre palais