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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

de Belgrad, ce qui n’empêchait pas ces étranges républicains de poser en principe l’égalité complète de tous les fidèles et la communauté des biens.

Bravant la mort qui les menaçait à toute heure, les knèzes s’assemblèrent, en 1803, autour d’un monastère, et eurent le courage de signer et d’envoyer une pétition au sultan. — Les janissaires, disaient-ils dans cette requête, nous ont tellement dépouillés, que nous sommes réduits à nous vêtir d’écorce ; de plus, nous ne pouvons défendre nos femmes et nos temples du dernier outrage : es-tu encore notre empereur, sauve-nous des mains de ces scélérats ; et si tu ne le peux, dis-le-nous, pour que nous allions, cherchant le dernier repos, nous jeter dans les rivières. — Le sultan indigné fit dire aux spahis que, s’ils ne cessaient leurs brigandages, il enverrait contre eux une armée qui ne serait pas musulmane, et, par conséquent, ne les épargnerait pas. Les Bosniaques se demandèrent : quelle peut être cette armée ? russe ou autrichienne ? Impossible ! — Ce seraient donc les raïas commandés par leurs knèzes ? Eh bien ! tuons d’avance tous ces knèzes ! — C’était en février 1804. Les soubachis reçurent ordre, dans toutes les nahias, de commencer les exécutions. Les premières victimes furent Hadchi-Gero, igoumène du couvent de Moravtsi, Marko Tcharapitj, Stanoïé de Beglavitsa, puis les deux chefs chrétiens de la nation, Rouvim, archimandrite du couvent de Bogovadia, qu’Aganlia fit périr dans d’horribles tortures, et Alexa Nenadovitj, l’obor-knèze de Valiévo, que Fotchitj décapita lui-même. Le massacre ne s’arrêtait point, des knèzes il sétendait aux kmètes, et le peuple crut à la fin qu’on voulait l’exterminer tout entier. Un spahi bosniaque, le capitaine de Gradachats, emprisonna, sans aucune exception, tous les raïas de son district : chaque vendredi, en revenant de la prière à la mosquée, il faisait amener devant lui un certain nombre de ces captifs, et s’amusait à les couper en deux d’un coup de cimeterre. Ce bourreau d’une force gigantesque ne tomba qu’en 1807, sous les coups d’une troupe de raïas furieux.

Le visir de Bosnie, Khousrev-Mehmet, se voyait contraint de fermer les yeux sur ces horreurs. À Belgrad, le père d’un des quatre dahis, Fotcho, vieillard âgé de cent ans et dont la longue barbe blanche descendait jusqu’à la ceinture, opposait d’impuissantes prières aux cruautés de ses fils. Mais le sang de tant de victimes n’avait pas arrosé en vain le sol des provinces serbes, et bientôt on les vit produire des héros. Les bandes des haïdouks chrétiens n’avaient pu heureusement être détruites : ce furent elles qui sauvèrent les