Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/474

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
468
REVUE DES DEUX MONDES.

des Serbes, la croix en main, chassant des Serbes leurs frères des cabanes où ils étaient nés. Le faible dépouillé et le spoliateur se maudissaient dans la même langue ; des troupes de mères éplorées, d’enfans à demi nus et sans abri, remplissaient les chemins. « Avec nos champs, vous nous enlevez notre pain, nous mourrons de misère ! » disaient les proscrits aux nouveaux maîtres. « Qu’importe ! vous êtes des chiens d’infidèles ! » criaient les gens de Miloch. Ainsi on voyait ces hommes récemment arrachés à l’esclavage se faire un jeu de la liberté d’autrui.

La Gazette d’état de Serbie, en racontant ce triste évènement, cache avec soin la douleur des populations expulsées ; elle donne à croire que leur résistance a été provoquée par les intrigues du turbulent Ali, pacha de Stolats ; les ravages des begs dans le Stari-Vlah passent pour une invasion en Serbie. La Gazette ajoute que Miloch va réclamer de la Porte un dédommagement pour les frais de la campagne. Elle raconte plusieurs traits d’héroïsme des raïas serbes, notamment celui du pope de Zaovina, nommé George Djouritj, qui, avec trois de ses paroissiens, défendit pendant plusieurs heures son presbytère contre quatre cents Bosniaques. Appuyés par les pachas turcs, ceux qui avaient vaincu dans cette guerre facile revinrent enfin à Kragouïevats, où leur prince les fêta splendidement. On évalue à quatre cents lieues carrées l’étendue des six districts concédés à la Serbie, et on croit que leur population s’élevait à deux cent mille ames avant l’expulsion des habitans musulmans.

Le kniaze serbe ayant envoyé un de ses ministres remercier le sultan de ses bienfaits, Mahmoud dit à l’envoyé ces remarquables paroles : « Je suis très satisfait de la conduite de Miloch-Beg. J’espère qu’il restera dévoué à mes intérêts comme aux siens propres. Je sais d’ailleurs qu’il adhère par sympathie à mon gouvernement, j’ai appris combien il a puissamment aidé mon grand-visir Rechid à dompter les rebelles bosniaques et albanais. Je lui recommande de continuer de veiller sur la Bosnie et l’Albanie, et d’entretenir avec leurs pachas des rapports amicaux et une correspondance assidue… Il ne doit pas douter de ma bienveillance, et il me fera même plaisir s’il vient me voir en personne, pour que je puisse le récompenser en empereur de ses services. » Les proclamations et la Gazette officielle de Serbie ne cessèrent pendant long-temps de revenir sur ces éloges et sur les faveurs accordées au kniaze, par le sultan ; mais elles se gardaient de laisser voir que ces faveurs étaient achetées au prix de l’asservissement des autres Slaves de la Turquie. Miloch connaissait en