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laires, que Kanaïna pouvait à peine croire que cette puissance eut autant de canons et de mousquets. Quand on eut déroulé sous ses yeux une carte, et qu’on lui eut fait juger de l’étendue du territoire français, comparé à celui des Sandwich, sa terreur n’eut plus de bornes ; il demandait si vraiment notre roi était fort courroucé contre le sien, et s’il ne pousserait pas plus loin les représailles. On rassura cet enfant de la nature qui portait le plus plaisamment du monde la culotte et les bas de soie ; on lui dit que, si les indigènes reconnaissaient et réparaient leurs torts, s’ils repoussaient désormais les conseils des missionnaires, la chose n’aurait pas pour eux des suites fâcheuses. L’insulaire écoutait tout cela avec intérêt, et chaque soir il rendait compte à la régente de ce qu’il avait vu et appris dans la journée, des manœuvres du bord, de l’exercice à feu qui lui paraissait exécuté à merveille et dont il ne perdait pas un détail.

À terre, les choses suivaient leur cours. Les résidens étrangers, hostiles aux missioniaires, avaient pris la résolution de s’armer en cas d’une rupture, et d’appuyer de toute leur influence des réclamations dont la justice était incontestable. Ainsi le droit et la force se réunissaient en faveur de la même cause. On croyait d’abord que Bingham, dont l’énergie sombre était connue, ne désarmerait pas sans combat ; mais la prudence eut le dessus. Les missionnaires wesleyens, au lieu de lutter, prirent le parti de fuir devant l’orage ; ils quittèrent tous Honoloulou avec leurs familles et leurs effets les plus précieux, et gagnèrent l’intérieur de l’île. Les chefs indigènes furent dès-lors abandonnés à leurs inspirations et à leurs lumières. Le premier effet de cette retraite fut l’élargissement de soixante naturels, détenus dans le fort pour cause de religion : les bons traitemens succédèrent aux outrages, on alla même jusqu’à leur offrir de l’argent comme indemnité. Évidemment la réaction s’opérait.

Enfin le samedi, veille du jour de grace et terme du délai, le gouvernement des Sandwich s’exécuta en tout point. Une double pirogue venait d’arriver de Mawi et d’apporter le consentement du roi à toutes les conditions posées par le capitaine Laplace. Il était deux heures de l’après-midi quand le fort hissa le pavillon français en le saluant de vingt-un coups de canon. Immédiatement ce salut fut rendu par les batteries de la frégate, et les compagnies prirent les armes pour recevoir le gouverneur de la ville, mari de la régente, qui apportait en personne le traité signé par les chefs, et des caisses contenant les 20,000 piastres de garantie. Le gouverneur était revêtu d’un bel uniforme anglais que rehaussaient la culotte et les bas de