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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

publicaine. Déjà les colonies d’origine espagnole ne savent plus se défendre contre ces empiétemens ; les Russes seuls se maintiennent dans l’établissement de la Bodega, et convoitent, avec celui de San-Francisco, le riche bassin qui s’étend sur les deux rives du Sacramento.

Les deux Californies comptaient autrefois des missions d’Indiens organisées dans le genre de celles du Paraguay, et dont plusieurs avaient atteint un haut degré de prospérité. Aujourd’hui, toutes ces fondations ont disparu ou sont en complète décadence. La plus florissante était celle de San-Carlos que M. du Petit-Thouars visita pendant son séjour à Monterey. La solitude des lieux et l’état de ruine des constructions y attristent maintenant le regard. La campagne environnante, jadis couverte de riches moissons, offre le spectacle d’une stérilité complète. Par l’aspect des bâtimens, on peut se faire une idée de l’importance qu’avait autrefois cette exploitation. Ils se composent d’une vaste cour bordée sur trois côtés de logemens à l’usage des travailleurs : l’église est dans l’un des angles ; les granges, les greniers et les magasins occupent le reste du pourtour. Tout cela est en grande partie abandonné ; les chambres sont sans portes et sans toitures, les greniers sont sans récoltes. Deux ou trois familles d’indiens habitent seules les masures qui entourent la mission ; ils vivent de coquillages et de glands de chênes qu’ils écrasent entre deux pierres, et dont ils font une espèce de pain. D’autres Indiens sont moins heureux encore ; errant sur le rivage de la mer, ils se nourrissent de coquillages, entre autres de l’haliotis géant, dont la chair savoureuse est renfermée dans une belle écaille diaprée, et de larges patelles qui abondent sur les roches de cette côte. Quand la pêche ne suffit pas, ces nomades ont recours à la chasse, et y emploient mille stratagèmes ingénieux. Voici celui qu’ils ont imaginé pour chasser les daims. Ils se revêtent d’une peau de cerf garnie de son bois, et se rendent dans des clairières où l’herbe de moutarde est parvenue une certaine hauteur. Là, cachés à demi, ils agitent les bois qui surmontent la dépouille de l’animal, imitent à s’y méprendre les mouvemens du cerf au pâturage, et vont jusqu’à en contrefaire le cri avec une grande vérité. Les troupeaux de cerfs et de daims accourent, et bientôt se trouvent à une petite portée des flèches. Le chasseur les ajuste alors un à un, et le grand talent consiste à toucher la bête au cœur, de manière à ce qu’elle tombe raide morte, et ne trouble en rien la sécurité des autres. Quand on la blesse seulement, elle fuit et entraîne la bande entière.