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sur tous les points par une race plus virile. La civilisation procède par couches ; ce qui s’en va sert de litière à ce qui arrive.

L’expédition aux ordres du commandant d’Urville rejoignit la Vénus aux îles de la Société, où les deux officiers français allaient poursuivre en commun une réparation analogue à celle qui avait été obtenue du roi des Sandwich. Cet épisode a été raconté dans cette Revue[1], et quelques détails sommaires suffiront. L’histoire est d’ailleurs la même, quoique avec d’autres personnages. Le missionnaire Bingham s’appelle ici Pritchard, et les noms de MM. Laval et Carret doivent être substitués à ceux de MM. Bachelot et Short. Il y a également déportation violente, proscription et même enlèvement nocturne. Le consul des États-Unis, M. Moërenhout, veut s’opposer à cet acte arbitraire ; il est attaqué de nuit dans sa maison, frappé par un assassin et laissé pour mort. Deux fois les prêtres catholiques cherchent à débarquer pour remplir les devoirs de leur ministère ; deux fois, en violation du droit des gens, on les chasse avec une brutalité inouie. Tels étaient les griefs qui amenaient la Vénus dans le port de Papeïti, capitale des îles de la Société et résidence de la souveraine. L’affaire fut très vivement conduite : après quelques négociations évasives, la reine Pomaré et son intermédiaire Pritchard consentirent à payer deux mille piastres d’indemnité et à écrire une lettre de réparations au roi des Français. Dans cette occasion et sur ce point encore, l’Artémise eut six mois plus tard à compléter l’œuvre de la Vénus. Dès que cette dernière frégate eut quitté l’île, tout fut remis en question. Pomaré avait rendu une loi qui assurait à tous les cultes le libre accès de ses états ; cette loi fut révoquée. Il fallut menacer de nouveau, et exiger un emplacement pour la construction d’une église catholique. La reine résista d’abord, mais la crainte l’emporta sur l’influence des missionnaires : elle céda.

Du reste, avec de pareils peuples et des gouvernemens aussi dérisoires, aucun accord n’est définitif, aucune transaction n’a de valeur. Ce sont des enfans qui se soumettent quand on les châtie et qui se révoltent quand la terreur ne les contient plus. Les conditions imposées par le commandant de l’Artémise n’ont donc pas été mieux tenues que celles qu’avait dictées le commandant de la Vénus, et ainsi est née la situation nouvelle qui vient d’aboutir à un protectorat. Il paraît que la petite église des Gambier, premier foyer des missions catholiques dans l’Océanie, avait essayé de détacher sur les

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 août 1840.