Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/584

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
578
REVUE DES DEUX MONDES.

térêt majeur se mêlait à cette affaire ; la reine tenait, par sa famille, à une puissante tribu, et la rendre à son époux, c’était assurer à ce dernier la souveraineté de l’île entière. La négociation fut longue ; M. du Petit-Thouars y échoua d’abord, mais M. François de Paule fut plus heureux et amena une explication intime entre les deux principaux intéressés. La tribu poussa un cri de joie, ce qui signifiait que le raccommodement était complet. Il faut dire que le prêtre et l’officier de marine jouaient là un singulier rôle ; mais la religion et la politique les excusaient. Temo-Ana se montra d’ailleurs plus loyal et d’un commerce plus sûr que Yotété. Un uniforme rouge avec des épaulettes de colonel, des pantalons et quelques chemises suffirent pour le gagner à la France. Il se montra heureux sous ces vêtemens et les porta avec aisance ; il s’habitua même à nos chaussures. La reine, à son tour, renonça à son léger costume de feuilles d’hibiscus et consentit à se couvrir d’une robe.

Quelques mois après ces évènemens, l’archipel de la Société devenait le théâtre d’une petite révolution en faveur de la France. Le hasard y joue un rôle, mais pas aussi grand qu’on l’a cru : une main habile se cache là-dessous. Est-ce celle de notre consul, M. Moërenhout, ou celle de M. du Petit-Thouars ? Est-ce l’une et l’autre ? Ont-ils tous deux suivi leur impulsion plutôt que des instructions précises ? Il est plus facile de se poser ces questions que d’y répondre ; c’est le secret de l’occupation, et, même en le pénétrant, il convient de le respecter. Le fait est que la situation de ces divers archipels, désormais fréquentés par les navires européens, devenait de plus en plus intolérable. Nulle police, nulle sécurité ; l’arbitraire sous mille formes, religieuses, commerciales, politiques ; partialité révoltante pour certains pavillons, exclusion et rigueur pour d’autres ; partout anarchie complète, confusion de pouvoirs, lutte entre les résidens ecclésiastiques et civils, combats des divers cultes, oppression et exploitation des indigènes. Il était temps de substituer à ce régime intolérant et irrégulier un régime empreint de quelque générosité et de quelque justice. Probablement les deux grandes puissances maritimes de l’Europe ont agité et résolu cette question par les voies diplomatiques. L’Angleterre, habituée à se faire la part du lion, a occupé la Nouvelle-Zélande presqu’au même instant où la France s’emparait des îles Marquises, et prenait les îles de la Société sous son patronage. Il y a dans ces faits l’indice d’une résolution commune : on a voulu mettre un terme à la baraterie maritime dont cet océan est le théâtre, créer une surveillance et une police là où régnaient le désordre et les