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LE ROMAN DANS LE MONDE.

ferme et meurt le roman de chaque jour, que non-seulement il y a un désir général de quitter cette atmosphère viciée pour un milieu plus sain, mais que l’accueil est partout souriant à ce qui ne sent pas la fatigue et la fabrique, à ce qui a un air d’honnêteté. Ce n’est pas tout, ce n’est même point là ce qui nous frappe le plus. Le monde en effet ne se contente point de désirer et d’accueillir ; voyant qu’on le peint si mal, qu’on ne le peint plus, il écrit des romans, il prend le parti de se peindre lui-même, et assurément, si l’on ne juge que par le contraste, ou peut dire qu’il réussit quelquefois. Ce mouvement, en quelque sorte intérieur et secret, ne pourrait, on le comprend, être traduit au grand jour de la publicité, sans perdre tout aussitôt son caractère et sa séduction, sans faire des salons ce qu’ils ne veulent pas être, une sorte de succursale de la littérature des journaux. C’est donc avec une réserve extrême, et seulement comme une disposition de l’esprit public, que nous voulons signaler, sans y mettre d’insistance, cette intervention nouvelle et continue de la société polie dans la culture littéraire.

Il y a eu cet hiver un grand nombre de lectures dans les salons les plus distingués de Paris ; des hommes politiques, qui savent remplir l’intervalle des affaires par les lettres, des femmes spirituelles que le monde occupe, mais qui trouvent encore le temps d’apporter au monde, comme une distraction, le poétique tribut de leurs loisirs, enfin bien des écrivains aimables qui n’oseraient pas se donner pour auteurs, ont contribué au charme de ces réunions intimes. Les femmes, comme toujours, ont eu la meilleure part dans ces offrandes de la muse discrète : on a entendu d’elles plus d’un roman délicat et fin, plus d’une nouvelle attendrissante, où la sensibilité et l’observation venaient se fondre dans les nuances de la grace.

N’est-ce pas là, à le bien prendre, le vrai, le seul rôle littéraire qui convienne aux femmes, un rôle qu’elles n’ont jamais abdiqué en France depuis deux siècles ? Si, dans ces dernières années, la critique a dû quelquefois protester contre ces déclamations humanitaires, contre ce vulgaire byronisme, qui paraissent si étranges sur des lèvres faites pour dire les mots d’amour et les paroles de pitié, il serait souverainement injuste de méconnaître les traditions d’élégance, les enseignemens de tendresse et d’émotion, tout ce qui s’échappe de poésie dans le sourire de l’amante ou dans les larmes de la mère. On serait donc mal venu à contester la précieuse influence des femmes, qui plus d’une fois déjà a su, par la mesure et la délicatesse, par une