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LE ROMAN DANS LE MONDE.

tesse que m’avait inspirée l’aspect de sa demeure. — Je n’aurais pu dire l’âge de cette femme. — Elle n’était plus très jeune, elle n’était pas jolie, ou n’était plus jolie. — Elle était pâle, — malade ou triste ; je ne pouvais le définir. — Ce qu’il y avait de sûr, c’est que ses traits étaient doux, que cette absence de fraîcheur pouvait venir d’un chagrin aussi bien que du nombre des années, que cette pâleur, si elle n’eût attristé le cœur, eût paru avoir quelque charme à côté du noir mat des cheveux. — Elle était inclinée sur son ouvrage ; — elle était mince — ou maigrie. — Ses mains étaient blanches, mais un peu osseuses, allongées. Elle portait une robe brune, un tablier noir, — un petit col blanc, — tout uni ; — et le bouquet qui avait fleuri deux jours sur la fenêtre, presque caché dans un pli de son corsage, était là pour que rien ne fût perdu de ses derniers parfums. Elle leva les yeux et me salua ; — je la vis mieux. — Elle était jeune encore, — mais elle était si près du moment où l’on cesse de l’être, que ce dernier adieu de la jeunesse attristait à regarder. — Évidemment elle avait souffert, — mais probablement sans lutte, sans murmure, — presque sans larmes. — Il y avait sur sa physionomie silence, résignation et calme ; — mais c’était ce calme qui succède à la mort. — Je m’imaginai qu’elle n’avait dû éprouver nulle secousse, que son ame avait langui long-temps, puis s’était éteinte ; qu’elle ne s’était pas brisée, mais inclinée, — courbée, — puis était tombée à terre, sans bruit, sans déchirement.

Oui, le regard, la physionomie, l’attitude de cette femme, disaient tout cela. Il y a des personnes qui vous parlent rien qu’en vous regardant, et dont on se souvient pour avoir passé une seconde auprès d’elles.

Chaque jour, je la retrouvai à la même place. Elle me saluait ; puis, avec le temps ; elle ajouta un triste et doux sourire à son salut. — Voici ce que je pus entrevoir de l’existence de cette femme que je voyais constamment assise près de sa fenêtre.

Le dimanche elle ne travaillait pas. — Je crus qu’elle sortait ce jour-là, car le lundi il y avait le petit bouquet de violettes sur la fenêtre. — Mais il se fanait les jours suivans, et n’était remplacé qu’après la fin de la semaine. — Je pensai encore qu’elle était presque pauvre, et qu’elle travaillait en secret pour vivre, car elle brodait sur de belles et riches mousselines, et je ne lui voyais jamais que la plus humble simplicité dans sa toilette. — Enfin elle n’était pas seule dans la maison car un jour une voix un peu impérieuse appela « Ursule ! » et elle se leva précipitamment. — Cette voix n’é-