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CALCUTTA.

celle des Callers ou voleurs du Coromandel, et à la grande corporation des Tugs, dont l’Hindoustan eut à souffrir si long-temps. Brigands par vocation, par état, par religion même, ils servaient leurs divinités en détroussant et égorgeant les navigateurs avec une parfaite tranquillité de conscience. Maintenant les bateaux circulent librement sans être armés ; ces pirates exterminés sont un fléau de moins pour les habitans des bords du Gange inférieur, qui n’ont plus qu’un ennemi à combattre, mais un ennemi terrible et indomptable, le climat. C’est malheureusement une loi de notre globe, qu’il faille expier les bienfaits d’une végétation bénie par les influences maudites d’un air insalubre. Aussi aborde-t-on avec un serrement de cœur ces villages cachés sous les cocotiers, ces cabanes couvertes d’ombre, bâties le long de ruisseaux prêts à déborder, sur lesquels flottent des barques chargées de riz, ces anses si fraîches, ces magnifiques touffes de bambous au feuillage si flexible, ces rizières à demi baignées où le héron se promène en attendant que la perdrix vienne nicher sous les épis mûrs. Quelle moisson fera la mort, dans les derniers mois de sécheresse, parmi les enfans qui vont s’ébattre joyeux sous ces grandes fleurs auxquelles il ne sera pas donné à beaucoup d’entre eux de survivre !

La station la plus importante qu’on dépasse sur le Gange est Diamond-Harbour, où les navires de la compagnie, d’un trop grand tirant d’eau pour remonter jusqu’à Calcutta, débarquaient et embarquaient leurs cargaisons. Ce lieu est encore ce qu’il était alors, l’Eldorado des marins, quelque chose de pareil, moins la poésie, à cette île de délices que Camoens fait sortir des eaux autant pour varier ses stances pompeuses que pour reposer les héros portugais. Le village de Negueli sur le Nil n’a pas plus d’almées que Diamond-Harbour ne compte de bayadères de bas aloi ; elles viennent au-devant des chaloupes qui touchent la rive avec un empressement égal à celui que mettaient les jeunes Otaïtiennes à ramer vers les vaisseaux de Cook. Les bayadères ne rougissent guère de cette partie honteuse de leur profession ; autorisées par les prêtres de Vichnou, bien quelles soient hors caste, ces femmes initiées à la littérature, à la poésie épique de leur pays, étudient sérieusement, dans des livres infâmes, l’art corrupteur qu’elles exercent, tant le paganisme, dans sa complaisance pour les faiblesses humaines, est habile à mettre sous la protection de ses dieux les abus qu’il serait impuissant à combattre.

Plus on approche de la grande ville, et plus les deux rives du fleuve