Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/633

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
627
CALCUTTA.

instinct leur capitale asiatique sur un sol qui peut se transformer en combustible pour les bateaux à vapeur.

Une ville moderne à tous égards, plantée le long d’une grande rivière, ne peut offrir un coup d’œil bien pittoresque. Cependant, vue de la rive droite, et surtout de la pointe derrière laquelle se cache le jardin de botanique, Calcutta se déroule avec une certaine majesté, grace à la largeur du Gange, lorsqu’au soleil couchant l’ombre des arbres qui se reflète sur le premier plan dans ses flots profonds, recule vers une perspective fuyante et bien éclairée les quais, l’esplanade, où fourmille la foule, les lignes de navires appuyés gravement sur les chaînes de leurs ancres, ces belles eaux blanches qui se perdent dans un horizon incertain, sillonnées de barques élégantes et rapides, ou traversées lentement par les lourds bateaux dont les rames retombent comme les pattes du crabe. Mais c’est particulièrement dans les détails de sa vie privée qu’il faut étudier cette société mêlée, où chacun garde la couleur qui lui est propre ; car l’Inde est ainsi faite, que le Malabar et le Bengali ne se transformeront que quand le Godaveri et le Gange auront cessé de couler. Voyez le réveil matinal de cette population qui commence volontiers sa journée par un acte religieux. Tout le long du rivage, les Hindous, hommes et femmes, se plongent dans les eaux sacrées de leur fleuve : ni le mouvement du quai déjà plein de travaux, ni celui des barques et des canots qui ont peine à se faire jour à travers ces masses compactes, rien ne dérange les baigneurs. La jeune fille dénoue ses cheveux et les trempe dans les flots avec autant de gravité que le vieil ascète qui lave sa barbe blanche et frotte sa peau ridée. Pour tous, ce bain est une prière, une ablution du corps et de l’ame après laquelle les membres assouplis semblent se mouvoir plus respectueusement au gré d’une intelligence purifiée. À ceux qui ne peuvent descendre aux bords du fleuve, de dévots personnages apportent le Gangai tirtham (l’eau sainte du Gange) dans des cruches suspendues aux deux extrémités d’un bambou ; ils passent rapidement à travers les rues, se dirigeant sur tous les points de la ville et des faubourgs. La brahmanï emporte aussi sur sa tête l’amphore allongée remplie de cette eau dont elle aura besoin pour tous les travaux du ménage ; d’un pas solennel, elle marche enveloppée du long vêtement humide et diaphane à travers lequel le soleil horizontal dessine des formes belles et nobles que les poètes hindous savent peindre avec des voiles plus légers encore. Mais les femmes de ces contrées, surtout celles des hautes castes, rachètent