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par la dignité de leur allure et la décence de leurs mouvemens la trop grande simplicité du costume. Au sortir de l’eau, l’hindou va s’asseoir sous de petits hangars surmontés d’un drapeau planté au bout d’une perche. Là, il livre son front à l’artiste, qui lui applique au moyen de couleurs rouges et bleues dans lesquelles trempe le pinceau, la marque de sa secte ; alors sa toilette est faite : il peut jusqu’au soir vaquer aux travaux de sa caste.

Pendant ce temps, les gens de la campagne, hommes et femmes apportent au marché les fruits et les légumes dans des paniers placés sur leurs têtes, et c’est en courant toujours l’espace de plusieurs milles qu’ils arrivent ainsi, dans la crainte que le soleil, les surprenant en route, ne fane les produits du jardin. Les boutiques s’ouvrent ; le marchand accroupi derrière son comptoir regarde avec joie la foule qui grossit. Les bazars sont vite encombrés ; cent voix interpellent dans sa langue le riche Asiatique ou Européen qui passe en palanquin ; vingt brocanteurs assiégent les portières et lui offrent, tout en trottant à ses côtés, des livres dépareillés, des boîtes chinoises incrustées de cuivre, des porte-cigares, des bonnets de mandarins. Les porteurs crient, les palanquins se heurtent au tournant des rues ; les voitures qui conduisent à leurs affaires les négocians et les employés de la compagnie soulèvent une poussière étouffante. Mille fiacres informes, traînés par deux tatoos (chevaux du pays), transportent des faubourgs au quartier du commerce les innombrables écrivains qui tiennent dans les deux langues les livres de compte, les registres de vente, et sont l’indispensable milieu par lequel l’Européen communique avec une population étrangère. Les charrettes à bœufs, lentes dans leur marche, entravent çà et là les rapides évolutions d’une foule à laquelle se mêlent les cigognes affamées toujours en embuscade sur les toits et les balcons, d’où elles se laissent tomber, les pattes tendues, au milieu des rues les plus animées, les corneilles, qui pillent hardiment et à grand bruit tout ce qui s’échappe d’un panier, d’un chariot, et les milans, aussi voraces, mais plus sauvages, effleurant de l’aile pendant une heure le poisson qu’ils convoitent sur l’étal du marchand. Quels cris, quel assourdissant tapage ! Autant le musulman est calme, autant l’hindou est remuant et criard quand le travail l’excite, comme tous les peuples serviles, blancs ou noirs, libres ou esclaves. De plus, l’hindou aime les querelles en paroles, mais craint les coups. Sa loi lui défend les jeux, les paris, les combats de béliers et de coqs, tout ce qui tend à jeter l’esprit dans un paroxisme violent ; l’ivresse est pour lui plus