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prier le dieu Mahadéva de faire descendre sur la terre le grand fleuve qui pût remplir l’océan, et surtout de vouloir bien lui-même soutenir dans sa chute la Ganga, dont le poids eût ébranlé la terre. Mahadéva céda aux prières et aux austérités du roi ; « alors elle tomba du ciel, la Ganga, fille des montagnes, roulant en larges et fiers tourbillons ; et le dieu supporta dans sa chute la rivière, ceinture des cieux, qui se précipita comme un collier de perles délié du haut de son front. Elle se divisa en trois bras dans son cours sinueux vers l’océan ; ses eaux étaient couvertes de flocons d’écume pareils à des troupes de cygnes ; tantôt se repliant avec effort, tantôt comme si elle sautait d’un flot rapide, tantôt encore couverte d’une fine enveloppe de mousse, comme ivre de plaisir, elle s’élança joyeuse jusqu’à l’océan, qu’elle remplit. »

Pour les Européens, le Gange est une source non moins sacrée de richesses immenses ; la rivière, fille des montagnes, leur apporte, avec ses flocons d’écume, les produits de l’intérieur dans des bateaux montés par une population de mariniers qu’on estime être d’environ trente-mille personnes ; par elle aussi viennent les marchandises de la Chine, de l’Arabie, de l’Europe et de l’Amérique. Après Londres et New-York, aucun port peut-être n’offre un coup d’œil plus animé que celui de Calcutta, surtout lorsqu’au retour du beau temps, après les débordemens causés par les pluies, qui doublent la force du courant et arrachent les navires de dessus leurs ancres pour les jeter pêle-mêle en travers, sur les grèves, arrivent par centaine les gros bâtimens arabes de Moka, de Mascate, de Djedda, chargés de sel et de café. À côté de ces navires on en voit se ranger d’autres environnés d’une fine vapeur blanche qui se dégage à mesure que le soleil prend de la force. Ce sont des américains de Boston ; ils viennent débarquer, à un endroit choisi exprès, les énormes blocs de glace recueillis sur les lacs et les rivières du Vermont et du Rhode-Island.

Le fort William, placé au-dessus de la ville, est plutôt une défense toute prête contre une attaque par mer, c’est-à-dire contre une armée européenne, qu’une bastille destinée à contenir la plus inoffensive, la plus soumise des nations jusqu’à ce jour. Quelques gardes de police, armés d’un sabre et d’une masse de bois avec laquelle ils se plaisent à frapper les matelots ivres en les poussant à la geôle, suffisent durant la nuit à surveiller une population qui, par son nombre, est presque un peuple. Le parc d’artillerie établi à Dumdum, séjour favori de lord Clive, à deux milles au nord-est du fort, et le camp