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lique ; elle nous dit encore qu’il ne manquait à Caton que le nom de chrétien, et que son cœur renfermait les vertus de l’Évangile. Si Caton est chrétien, il ne faut plus désespérer de personne. Il semblait cependant que ce fier païen, qui se sauva par une mort volontaire de l’amnistie de César, ne possédait pas cette vertu que le christianisme se glorifie d’avoir donnée au monde sous le nom d’humilité. Le zèle de Mme la vicomtesse de Ludre l’a emportée trop loin ; en voyant partout le christianisme, elle l’annule. Si, comme elle cherche à le démontrer, l’Évangile, saint Augustin, Fénelon, concordent sur les idées fondamentales avec les Védas, avec Lao-Tseu, avec Socrate, avec Platon, avec Zoroastre, on se demande ce que devient la divine originalité de la parole du Christ. Le christianisme n’est plus qu’une sorte de récapitulation, une espèce d’éclectisme venu à propos. C’est ce que nous dit à peu près Mme de Ludre quand elle nous montre l’église intervenant entre toutes les idées pour les unir, et ayant pour mission de mettre d’accord Épicure et Leibnitz, Pythagore, Virgile et Kant. Dans son amour de la paix, l’auteur des Études sur les idées a imaginé un moyen de pacification que nous recommandons à tous les partis. D’où proviennent les discussions ? De l’habitude où l’on est de dire ceci ou cela est. Or, si l’on disait désormais ceci et cela est, si on mettait et à la place de ou, on couperait court à tous débats, tout existerait parallèlement, ce serait une harmonie générale. Pour arriver à un si beau résultat, il ne faudrait pourtant que substituer, comme dit Beaumarchais dans le Mariage de Figaro, la conjonction copulative et, qui lie les membres de la phrase, à la conjonction alternative ou, qui les sépare.

Mme la vicomtesse de Ludre a beaucoup lu, elle a composé la plus grande partie de son ouvrage avec les extraits de ses lectures, puis elle a intercalé entre ces innombrables citations des développemens où l’on sent toute la diffusion incohérente d’une conversation. Tout ce que l’auteur a appris, tout ce qu’il a pu dire, tout ce qu’il a pu entendre en conversant sur les sujets les plus disparates, se trouve jeté pêle-mêle dans deux volumes où sont évoquées tour à tour l’histoire, la philosophie, la religion, la littérature, la musique. Ainsi nous apprenons que M. Donizetti, dont le génie est moins vaste que celui de Mozart (en vérité !), a peut-être le don de mieux parler au cœur. Goethe serait un très grand homme si Faust lui appartenait mais Faust est une création populaire ; quant à Voltaire, il est stérile. Le style philosophique de Cicéron est sans ordre et sans couleur. Dire de ces choses dans son salon, c’est déjà bien imprudent ; mais les écrire !