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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

On ne s’étonne point que plus tard Jéhanguire ait changé le nom de Nourmahal en Nourjehan (la Lumière du Harem méritait bien qu’on l’appelât la Lumière du Monde[1], mais on s’explique moins facilement d’abord ce qui peut amener au milieu de la nuit cette sultane adorée, dans la tristesse et dans les larmes, aux pieds de la magicienne Namouna. « Hélas ! dit le poète, une cause si légère réveille parfois la dissension entre deux cœurs, et l’amour que les orages ont vainement éprouvé faillit souvent dans une heure de calme et de soleil. » Une de ces « causes légères » a banni Nourmahal de la présence de son royal époux. On est à l’époque de la fête des roses. L’empereur, entouré d’une brillante cour, se rend dans le vallon de Cachemire, sous les frais ombrages duquel il oubliait autrefois si volontiers les ennuis de la royauté près de sa belle maîtresse. Mais Nourmahal n’est plus là et malgré lui Jéhanguire la cherche. À travers les jasmins de la croisée ouverte, la lune de minuit pénètre dans une chambre où se trouvent deux femmes, dont l’une conte à l’autre son amoureuse peine : « C’est l’heure, dit l’enchanteresse, de cueillir certaines fleurs sur lesquelles a passé le souffle de la lune, et qui sont d’une telle vertu, que, portées par celle que son amant délaisse, elles attirent dans un songe les invisibles esprits et enseignent le moyen de regagner… » Nourmahal l’interrompt : « À moi ces fleurs ! à moi ! s’écrie-t-elle impatiente ; tressez-m’en une couronne ! » Et aussitôt, légère comme une biche, elle s’élance dans le jardin, d’où elle rapporte des corbeilles pleines de fleurs qu’elle verse sur les genoux de son amie. « Avec quelle joie l’enchanteresse contemple ces bourgeons naissans, baignés de la rosée et des rayons de cette heure suprême ! Son regard exprimait un plaisir surhumain, lorsque dans le ravissement d’une sainte extase, penchée sur ces trésors odorans, elle s’inclinait pour boire leur haleine embaumée, comme si elle eût voulu mêler son ame à leur ame. Et c’était vraiment de l’arôme qui s’échappe des fleurs et de la flamme parfumée que se nourrissait son existence enchantée, car, nul ne la vit jamais toucher à la chair mortelle, ni baigner sa lèvre vermeille dans un élément terrestre, hormis dans la rosée matinale. »

Je ne connais rien de plus délicieux que cette scène. D’un côté, la grande ombre de la devineresse Namouna, mystérieuse créature dont nul homme ne se rappelle la naissance, et que le temps ne semble toucher que pour l’embellir ; de l’autre, la figure de Nour-

  1. Nourjechan veut dire lumière du morde.