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mahal agenouillée, les mains jointes, la poitrine haletante d’émotion, l’œil en pleurs et brillant d’une curiosité ardente : adorable enfant qui se repent d’une bouderie ! Ajoutez à cela les accessoires si riches de la nature orientale : la lune suspendue comme une topaze de feu dans l’azur profond du ciel, les ineffables senteurs sous le doux fardeau desquelles l’aile oppressée du vent ne s’agite qu’avec effort ; tous ces murmures confus, tous ces bruits indistincts, plaintes de la végétation éternellement en peine ; le cri lugubre du chacal, le frémissement de la feuille sous le pas de la panthère, le sifflement rauque de la couleuvre, le murmure des insectes, cette présence immédiate de la mort dans la vie, qui fait que, partagée entre la volupté et la crainte, la nuit elle-même sous les tropiques ne dort point. Disposez tout cela avec art autour des deux figures principales, et vous conviendrez que le tableau ne manque pas de grandeur.

La sultane, parée de la guirlande, s’assoupit, et le génie auquel commandent les fleurs de Namouna lui apprend dans un songe la chanson magique qui doit ramener à ses pieds l’amant qu’elle adore. Le lendemain au soir, Jéhanguire, « espérant chasser l’amour de son ame par le plaisir, la musique et le vin, » donne un festin somptueux au palais impérial. « Toute forme jeune et agréable à voir se rassemble là d’orient et d’occident, excepté, excepté !… oh ! Nourmahal ! toi, la plus belle, la plus chère de toutes ! tu n’y étais point ! » Le sultan boit à longs traits du vin de Shiraz, comme si du Koran il n’était question, et écoute d’un air distrait les chants d’une belle Géorgienne qui lui vante les plaisirs les moins orthodoxes. Le morceau fini, une autre voix s’élève, et sur le même air chante des paroles différentes. À cette voix divine, tout le monde, frappé d’admiration et de stupeur, se tait ; le couplet achevé, on s’écrie de toutes parts : « C’est la jeune fille masquée, c’est l’Arabe, » et le royal fils d’Akhbar, trop ému pour pouvoir parler, fait signe à la musicienne de continuer. Elle s’approche et recommence : mais laissons au poète le soin de conter le dénouement de sa gracieuse comédie.

« Il y avait une tendresse plaintive dans ce chant, qui, sans l’aide de la magie, eût trouvé aussitôt le chemin du cœur brûlant de Sélim[1] ; mais unie à des sons si vibrans, si divins, à des sons si étrangers aux enfans de la terre, c’en était trop. Soudain il jeta loin de lui la coupe pleine, que pendant toute la durée de cet air délicieux sa main avait oublié de porter à ses lèvres, et nommant celle

  1. Nom que portait l’empereur Jéhanguire.