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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

Tout le monde sait avec quelle indignation les Irlandais repoussaient le nom de rebelles que leur appliquait le gouvernement anglais, et quelles voix puissantes s’élevèrent en leur faveur pour démontrer la différence qui existe entre une nation libre qui réclame ses droits et un peuple esclave qui se révolte. On pense bien que là-dessus Moore ne garda pas le silence, et les vers suivans des Adorateurs du feu vinrent résonner peu agréablement à la sourde oreille de l’Angleterre :

« Rébellion ! mot vil et déshonorant, qui d’une flétrissure injuste a si souvent souillé la cause la plus sainte que parole ou épée d’homme ait jamais perdue ou gagnée ! Combien de nobles cœurs formés pour le bien ont succombé sous l’infamie du nom de rebelle, qui, s’ils avaient enchaîné le succès un seul jour, une seule heure, auraient conquis une gloire éternelle ! »

Il est certains sentimens qui plus que d’autres exigent une intime conviction chez celui qui les peint. Le patriotisme est de ce nombre, et il n’y aurait rien d’étonnant à ce que ce fût le principal motif qui eût empêché Goethe d’écrire le Guillaume Tell. Le Jupiter de Weimar, dans son calme olympien, prenait trop en pitié les misères de ce monde, et savait trop à fond la valeur de toute chose, pour se laisser aller à l’enthousiasme en quelque occasion que ce fût ; néanmoins on se tromperait étrangement si l’on croyait qu’il en méconnût tout le prix au point de vue esthétique. Que si l’on m’objecte que Goethe a fait Egmont, je répondrai que l’élément de cette tragédie est le patriotisme d’un prince, sentiment conventionnel, orgueilleux et froid, plein de vanité et d’ambition, et qui ne ressemble en rien aux aspirations passionnées vers un idéal inconnu, à l’amour brûlant, effréné de la liberté, qui consument le sang et la vie d’un peuple que l’oppression a réduit au désespoir. Dans le premier cas, le poète peut très bien faire agir ses personnages en dehors de lui-même ; dans le second, il faut, pour nous entraîner, son intervention constante et chaleureuse, il faut qu’il s’identifie avec son sujet. On conçoit dès-lors à quels éclatans succès étaient réservées certaines poésies de Moore, et de combien la subjectivité même qui les caractérise devait augmenter la puissance de leur effet. Nul doute que ce ne soit à l’enthousiasme réel de l’auteur que le troisième chant de Lalla Rookh doive son intérêt extrême. On sent que tout y est vrai, que Hinda, Hafed, Al-Hassan, vivent, aiment, se dévouent, souffrent, prient, luttent et meurent, et qu’il ne s’agit plus d’un conte fait pour nous divertir et dont les personnages et le sujet nous laissent égale-