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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

« Pendant que tant d’autres, comme le nuage de Milton, présentent à la foule leur doublure d’argent[1], cet être sublime, s’enveloppant d’une nuit profonde, tient caché tout ce qui adoucit, humanise et orne sa nature, et ne répand que son ombre sur un monde qu’il méprise. » (Turns his darkness on a world he scorns.)

Les relations intimes de Moore et de Byron, relations nées de la polémique et qui s’établirent définitivement au milieu des orgies de la vie fashionable de Londres, nous amènent naturellement à ce que j’appellerais les qualités poétiques secondaires de Moore. Après avoir (en 1800) dédié la traduction d’Anacréon au prince de Galles, jeune encore, l’auteur des Poésies de Little ne put s’empêcher, quelque douze ans plus tard, de prendre pour but de ses satires le régent, dont les vices et les ridicules lui offraient, à vrai dire, un sujet peu ordinaire et fait pour tenter. Lorsqu’en 1812 ce prince, infidèle à toutes ses promesses, au lieu d’appeler au pouvoir un ministère whig, réorganisa, à l’aide de M. Perceval, un cabinet tory, lord Moira accepta, au grand déplaisir de tout son parti, la dignité de gouverneur-général dans l’Inde. Les tories offrirent à Moore un poste auprès de son ancien ami ; mais le poète irlandais, avec cette noble indépendance qui le caractérisa toujours, refusa péremptoirement, et déclara dès-lors une guerre acharnée aux hommes du gouvernement. Les journaux de l’opposition regorgeaient tous les jours d’attaques et de plaisanteries dirigées contre cette cour licencieuse et immorale, ou trônaient, en même temps que le prince, ses favoris, lord Yarmouth[2], George Brummell, le marquis de Headfort, le colonel Mac-Mahon et le baron Géramb ; ses ministres, lord Castlereagh, lord Eldon, lord Westmoreland, lord Liverpool, et sa maîtresse en titre, la marquise de Hertford, femme du marquis de ce nom et mère de lord Yarmouth, dont les favoris roux servirent de thème à plus d’un skit.[3]. Caricatures, pamphlets, brochures, chansons, parodies, bons mots, satires, invectives, il en tombait une grêle à chaque instant dans Londres, et tout ce que l’Angleterre a jamais possédé d’esprit semble s’être dépensé à cette époque en jokes (jeux de mot) contre le futur roi George IV et son entourage. Byron et Moore prirent part au combat. En 1812 parut un petit volume

  1. « Un nuage noir présente sa doublure d’argent à la nuit » (Did a sable cloud turn forth her silver lining on the night.) Milton, Comus.
  2. Lord Yarmouth, depuis marquis de Hertford, est mort il y a environ deux ans.
  3. Épigramme de journal.