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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

lorsque Moore vint réclamer toute l’attention du public, les Fables de la Sainte-Alliance à la main. Ici non-seulement le régent, ses maîtresses et ses amis, mais le tzar et le maréchal Blücher, le roi de Prusse et les Bourbons, tous les membres de la sainte-alliance, sans en excepter même le duc de Wellington, avaient leur bonne part de coups de bec et de griffes. Le succès fut complet, et la popularité de Moore s’en accrut encore.

Un homme que l’auteur des Mélodies poursuivait surtout de sa haine, c’était le vicomte Castlereagh. « Trois C, dit-il, furent désignés dans les livres sibyllins comme dangereux pour la paix et les libertés de Rome (Cornelius Sylla, Cornelius Cinna et Cornelius Lentulus), et trois C jouiront d’une triste célébrité en Irlande, tant que Camden et la cruauté, Clare et la corruption, Castlereagh et le mépris (en anglais contempt), seront unis par l’allitération et l’à-propos. » Dans la Famille Fudge à Paris, collection de lettres satiriques qu’il publia en 1817, après avoir exprimé le plaisir que ressent malgré lui un Irlandais en entendant sur toute l’étendue du continent maudire le nom de l’Angleterre, Moore, sous le nom de Phélim Connor, jeune patriote exalté, termine ainsi la quatrième épître :

« Angleterre ! ennemie déclarée de la liberté et du vrai partout où ils se trouvent ! si t’entendre flétrir ainsi est un bonheur pour la vengeance, il y a encore une joie plus douce que celle-là : la joie de penser que c’est un esprit, un cœur irlandais, qui t’a faite la chose dégradée et souillée que tu es, et que, comme le centaure mourant donna, pour torturer son vainqueur, sa veste empoisonnée, nous t’envoyâmes Castlereagh ! — Comme des monceaux de cadavres ont causé la mort de leurs meurtriers par l’odeur pestilentielle qu’ils répandaient, ainsi notre pays, pour ternir ta gloire, pour saper ta force, pour te pourrir corps et ame, a exhalé ses pires infections condensées dans cet homme ! »

D’autres fois ses attaques prennent une tournure plus plaisante, et je ne sais si les plaisanteries ne furent pas plus terribles que les injures. Byron aussi ne reste point en arrière sur ce sujet, et on connaît sa fameuse épigramme sur le suicide du ministre : « Quoi ! il s’est enfin coupé la gorge ! — Lui ! qui donc ? Mais l’homme qui depuis si long-temps avait coupé la gorge à sa patrie. » La facilité de Moore dans ce genre était quelque chose de réellement merveilleux. Un matin (c’était en 1816), il arrive chez Scrope Davies, l’ami de cœur de Byron et celui auquel il a dédié la Parisina : « J’ai un sujet, dit-il, mais je voudrais l’écrire tout entier en argot,