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LA RUSSIE.

polonaise a pris dans les dernières années un nouvel essor. Ce qui était jadis pour cette pauvre contrée une étude heureuse et paisible est devenu un adoucissement à ses regrets, un remède à ses douleurs. La source sacrée de Castalie a souvent, pour ceux qui la lui demandent, la vertu du Léthé ; elle donne l’oubli et le repos. De jeunes savans déroulent d’une main laborieuse les livres et les manuscrits que la Russie ne leur a pas encore enlevés, et se plongent dans la contemplation du passé pour ne plus songer au présent. Des poètes s’en vont sur les rives silencieuse de la Vistule murmurer à l’écart les strophes harmonieuses qu’une muse solitaire leur inspire. Un sentiment national agite leurs cœurs ; un souvenir pénible attriste leurs pensées. Le deuil de leur patrie se reflète dans leurs vers, le nom de la malheureuse Pologne s’échappe souvent de leurs lèvres. La plupart de ces vers, écrits à la dérobée, ne peuvent être imprimés ; mais ils circulent de main en main, et partout éveillent une religieuse sympathie. Il y a maintenant en Pologne un cycle de chants cachés et mystérieux pour toutes les phases de la dernière révolution, des chants pour ceux qui sont morts et pour ceux qui vivent dans l’exil, des chants pour les jours de victoire et les jours de défaite, épopée de gloire et de malheur sur laquelle brille encore un rayon d’espoir. Le Polonais est condamné aux rudes travaux de la Sibérie, et ses frères lui adressent de loin une affectueuse consolation. Le Polonais est assis tristement au foyer désert de ses pères, et ceux qui mangent le pain amer de l’étranger échangent avec lui l’expression de leurs vœux. Les muses sont les messagères compatissantes de l’amour et de la douleur ; elles volent à travers l’espace, elles échappent avec leurs ailes légères aux ciseaux de la censure, cette harpie des temps modernes, à l’espionnage de la police, et répandent parmi ceux qui souffrent la parole qui raffermit le cœur, le baume céleste qui adoucit ses blessures.

Voici deux pièces de vers que j’ai entendu réciter un jour dans une société fermée aux regards suspects, et qui révèlent cet esprit poétique de la Pologne. L’une a été composée par un homme qui a exercé d’honorables fonctions dans son pays ; la seconde, par un jeune écrivain qui a servi comme simple soldat dans la dernière révolution.


À UNE FEMME POLONAISE.

« Ton ame céleste se reflète dans ton regard ; dans ton regard mélancolique, les larmes que tu verses sur ta patrie brillent comme les diamans du trésor d’amour que tu renfermes dans ton sein.

« Bénie sois-tu parmi tes compagnes, car dans ton cœur le souvenir de ton pays est entouré de l’auréole de la foi ; tu es un de nos anges gardiens.

« Ma bien-aimée, lorsque tu penseras aux destinées de la Pologne, arrose de tes pleurs les cendres de tes pères et la foi te dévoilera les secrets de l’avenir, et tu recueilleras ta moisson dans le ciel.

« Car Dieu change en perles les larmes versées pour une cause si sainte ; il fait reverdir les rameaux de l’espérance, et t’en couronne le front. »