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lemagne. Jacobi lui-même l’accepte, le développe, non pour s’y arrêter, comme Lessing, mais pour en faire son plus puissant argument contre l’esprit de système et briser le dogmatisme contre cet écueil. En vain Fichte, Schelling, dans leurs spéculations hardies, prétendent échapper au panthéisme ; Jacobi ne veut voir dans ces tentatives nouvelles, dont l’originalité lui est suspecte, qu’un prolongement ou un déguisement peut-être des principes de Spinoza. Entre l’école critique de Kant, qui, partant de la pensée humaine, s’y enferme et s’y concentre si bien qu’elle n’en peut plus sortir, et le dogmatisme absolu de Spinoza, qui, partant de la substance infinie, tombe fatalement dans le panthéisme, Jacobi ne voit de salut pour la philosophie que dans le sentiment et l’intuition immédiate. Hegel n’échappe pas plus que son maître ; que dis-je ? il reçoit de son maître lui-même, au moment où il l’abandonne, le reproche d’être panthéiste. C’est qu’en effet sa philosophie porte plus que toute autre la trace de Spinoza. S’il conteste cette filiation dans la métaphysique et ne veut pas reconnaître dans l’Éthique sa propre théorie de l’idéal et du réel, n’est-il pas évident du moins que dans un ordre d’idées différent, quoique analogue, cette exégèse hégélienne, dont la hardiesse s’égare avec Strauss au-delà de toute limite, proclame hautement comme sa devancière la critique philosophique à laquelle Spinoza soumit pour la première fois les saintes Écritures ?

En même temps que Spinoza inspire les philosophes et les théologiens de l’Allemagne, son influence atteint les poètes. Ce géomètre hérissé de formules séduit l’imagination de Goethe et de Novalis, et devient le père d’une littérature panthéiste. « Ne pourrait-on pas, disait Herder, persuader à Goethe de lire un autre livre que l’Éthique de Spinoza ? » Goethe faisait ses délices et sa consolation de ce livre si long-temps proscrit. « Je me réfugiai dans mon antique asile, l’Éthique de Spinoza, » dit-il quelque part. C’est aussi là que l’enthousiaste Novalis allait puiser des inspirations sublimes, et, comme il le dit lui-même, s’enivrer de Dieu. La poésie ne descend pas dans le fond d’un système pour en mettre à nu les vices cachés ; elle ne le suit pas dans sa marche pour en peser les dernières conséquences au poids de la morale et de la justice. Ce Dieu-nature qui anime tous les êtres, cette vie universelle et puissante qui circule au sein des choses, cette échelle infinie de formes variées que revêt et qu’abandonne tour à tour un même principe impérissable, à la fois un et multiple, identique et divers ; ce Dieu de Schelling, qui, encore endormi dans la nature morte, tressaille sourdement dans la