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L’ÎLE DE TINE.

étions les bien-venus dans la maison de son père, et qu’au nom de toute sa famille, elle nous priait de la considérer comme la nôtre. Accueillir des Français était, nous dit-elle, un bonheur pour les habitans de la Grèce, et, si une chose les affligeait, c’était de ne pouvoir pas nous recevoir aussi bien qu’ils le voudraient. La façon de donner vaut, dit-on, mieux que ce que l’on donne ; on pourrait ajouter que la façon de dire vaut mieux que ce que l’on dit. Tout était séduisant dans cette jeune fille, le timbre si pur de sa voix, son attitude, son costume pittoresque, et jusqu’à l’embarras qu’elle éprouvait à parler notre langue, embarras dont elle souriait elle-même en rougissant. Je ne pouvais assez admirer comment, n’étant sans doute jamais sortie de son île, Maria Spadaro avait acquis tout naturellement cette grace si recherchée des femmes chez lesquelles elle n’est pas innée, et cette aisance charmante si éloignée de la raideur et de la gêne qui rendent trop souvent ridicules, dans certaines parties du monde, les jeunes personnes, même les plus soigneusement élevées. Trois sœurs cadettes, jolies comme leur aînée, entrèrent à leur tour et furent suivies d’un tout petit garçon, le plus drôle et le plus mutin du monde, qui voulut absolument sauter dans nos jambes malgré les représentations de son père.

Je n’ai de ma vie rien vu de plus gracieux que cette jeune famille, qui s’assit en cercle autour de nous. Cependant la conversation continuait avec notre hôte ; établi à nos côtés, il nous traitait en vieilles connaissances, nous demandait des nouvelles de la France, des détails sur notre voyage, sur nos intentions, sur nous-mêmes. À ces diverses questions je ne répondais, malgré toute ma bonne volonté, que par monosyllabes ; j’avais une idée fixe dont je ne pouvais m’écarter ; enfin, mettant de côté toute circonlocution oratoire, je déclarai au consul de France que je mourais de faim. M. Spadaro se prit à rire et m’annonça que l’on nous préparait quelque chose à manger. En effet, la porte qui avait donné accès à tant de jolies apparitions s’ouvrit de nouveau. Une servante parut qui portait un plateau. La belle Maria se leva, alla prendre le plateau qui était d’argent ciselé, d’un luxe hors de proportion avec la simplicité de la maison, et nous le présenta. Je jetai sur la jeune fille un regard effaré, — c’étaient deux verres de limonade. Il m’arriva de réfléchir à l’extrême sobriété des Levantins, et je me demandai avec inquiétude : Serait-ce là le dîner qu’on nous a préparé ? J’avalai mon verre de limonade avec toute la résignation dont j’étais capable. Mais bientôt je fus délivré de mes craintes. Mme Spadaro rentra, ses filles s’empressèrent ; l’aînée