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L’ÎLE DE TINE.

toile verte, vêtement adopté par tous les marins des îles. Notre guide nous précédait ; je ne pus m’empêcher de soupirer à la vue de son accoutrement. En Grèce, comme ailleurs, toute originalité disparaît, l’habit national y devient de plus en plus rare, et notre costume disgracieux s’y multiplie. À Athènes, le roi Othon essaie en vain de lutter contre l’invasion du chapeau de castor et du pantalon à sous-pieds, en portant toujours le fez rouge et la fustanelle albanaise ; son exemple n’est pas suivi ; tout au contraire, on assure qu’en adoptant ce costume, le roi n’a pas peu contribué à le faire abandonner de ses sujets bien-aimés. La reine, malgré toute sa jeunesse, sa grace charmante et son extrême beauté, n’a pu, non plus, maintenir à sa cour le taktycos brodé d’or et la tunique de Smyrne. Les modes de Mlle Baudran y règnent en souveraines, et la reine elle-même, après avoir long-temps résisté, a dû les subir. Aux fêtes solennelles seulement, on voit reparaître quelques-uns de ces habits si riches et si élégans. Les uniformes des troupes, dont la tenue est d’ailleurs remarquable, sont coupés selon l’ordonnance de Munich. Un seul régiment, et celui-là est magnifique, a conservé la guêtre et la veste de palikare aux couleurs de la Grèce. Encore le goût bavarois a-t-il cru devoir enter sur cette veste bleue de ciel, brodée d’argent, dont la légèreté fait la grace, un large collet rouge avec agrafes et galons, ridicule on ne peut plus et parfaitement incommode pour le soldat pendant les grandes chaleurs. Dans les îles, même les plus éloignées, tout ce qui appartient à la classe aisée a adopté la mode continentale. Notre guide, pour nous faire honneur sans doute, portait un habit bleu barbeau orné de boutons de métal larges comme des patères ; son pantalon, de couleur lilas, soumis à une tension trop forte, avait rompu toute entrave, et à chaque mouvement du mulet il remontait, laissant voir de plus en plus deux longues jambes couvertes de bas chinés, et terminées par deux escarpins à rosettes. La tête du parent de M. Spadaro, coiffée d’un chapeau bien luisant, était haut-guindée sur une cravate de couleur douteuse, et emprisonnée dans un de ces cols gigantesques que l’on pardonne si difficilement aux épiciers de la rue Saint-Denis, et qu’on voudrait ne pas retrouver dans le pays où vécut Alcibiade. Les deux pointes acérées de cet instrument de torture se dressaient fièrement, menaçant les yeux du pauvre homme chaque fois qu’il tournait la tête, coupant ses joues et comprimant odieusement son honnête figure. Tel est ou à peu près le costume actuel d’un dandy dans les Cyclades.