Nous suivions un chemin raide et pierreux qui se dirige en droite ligne vers une montagne assez élevée, point culminant de l’île, que couronnent les ruines d’un château fort du moyen-âge. Parvenus à une certaine hauteur, nous eûmes à lutter contre un vent très violent dont nous garantissaient fort peu les murs à hauteur d’appui qui bordaient le chemin. Ces vents de nord-est, qui soufflent régulièrement pendant tout l’été, assainissent les îles, en chassent les miasmes dangereux, et il est à remarquer que, dès qu’ils cessent, les fièvres commencent ; mais il faut aussi attribuer, en grande partie, à la violence de ces vents l’infertilité des Cyclades. Tine est l’une des plus vertes ; elle est cultivée presque entièrement, avec opiniâtreté, en dépit de la nature. À défaut de terre, on y laboure les pierres, et nous pûmes voir que des champs de blé ou d’orge chétifs et un assez bon nombre de figuiers récompensent le travail des habitans. Ce jour-là, ils faisaient leur récolte. Ces pauvres Grecs, coupant avec peine la paille rabougrie qui croît dans leurs petits champs entourés de murailles, nous faisaient tristement songer à nos belles moissons de France, si animées et si joyeuses. Au bout d’une heure, le chemin étant devenu impraticable pour nos montures, nous les confiâmes au domestique grec, et ayant continué à pied notre route, nous arrivâmes à un village tout-à-fait abandonné et tombant en ruines. Rien de plus triste que ces maisons fermées, dont les propriétaires sont morts, et qui, autrefois pleines de mouvement, n’entendent maintenant que le bruit des pierres que le vent ou le temps détachent de leurs murs. Sur la porte de l’une de ces maisons, je remarquai une plaque de marbre portant un écusson armorié. Sans doute elle avait été habitée par le descendant de quelque grand de Venise ; mais aujourd’hui, quoiqu’en apparence moins pauvre que les autres, elle est également déserte et silencieuse. Je ne sais si je suis seul à penser ainsi, mais les restes d’une petite tour isolée, les débris d’un pauvre fief inconnu, parlent plus vivement à mon ame que les ruines les plus grandes et les plus célèbres. Les monumens de l’antiquité que tout le monde admire ont leurs chroniques ; l’histoire à la main, on peut, jusqu’à un certain point, les reconstruire en imagination, les ranimer, y replacer les personnages qui les habitèrent, se figurer les scènes dont ils furent le théâtre, tandis que, pour ces pauvres débris que nous rencontrons çà et là, tout est incertitude et mystère. Rien ne parle de leur vie d’autrefois ; le nom de leurs habitans est depuis long-temps oublié, et l’on ne peut s’empêcher de donner un soupir à ces existences qui n’ont laissé aucune trace, à ces destinées in-