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paternels qui venaient nous chercher sur cette montagne si éloignée de notre pays, dans ce vieux monastère lézardé, au bruit du vent qui pleurait dans les corridors en ruines.

Une heure s’écoula rapidement à écouter les exhortations du vieillard. Lorsque nous nous levâmes pour partir, il nous accompagna jusqu’à sa porte.

« Chers enfans, nous dit-il en nous quittant, vous êtes les seuls étrangers que j’aie vus depuis quinze ans ; je vous remercie, votre visite m’a fait du bien. Dieu a voulu que nous nous rencontrions sur ce rocher, qui n’est ni votre pays ni le mien : espérons que nous nous retrouverons là-haut, c’est la commune patrie. » Et du geste il nous montra le ciel éclatant où s’éleva son regard ; ensuite il nous tendit la main ; je lui demandai de prier Dieu pour moi, et nous nous quittâmes. Après avoir fait quelques pas dans les décombres, je me retournai au moment de perdre de vue l’ermitage. Le vieux prêtre était toujours debout sur le seuil de la porte ouverte ; il nous suivait du regard. Je lui dis encore une fois adieu ; il me salua de loin, puis je le vis passer la main sur ses yeux comme s’il eût essuyé une larme ; presque aussitôt il se retourna, et la porte se ferma brusquement derrière lui. Il était rentré dans sa solitude, où nul peut-être ne viendra jamais. Un matin, l’enfant grec le trouvera couché sur son banc de bois ; son ame sera partie pour le ciel, et avec elle le secret de sa vie. N’est-il donc pas sur la terre un foyer où la place de ce vieillard soit restée vide, où, le soir, l’on se demande ce qu’il est devenu ? N’est-il pas une bouche qui prononce son nom, pas un cœur qui garde son souvenir ? Ces tristes questions se pressaient en moi, tandis que je marchais dans la route pierreuse. Nous arrivâmes bientôt à l’endroit où nous attendaient nos mulets, et nous reprîmes place sur nos tapis.

Pendant notre visite au solitaire, le vent avait balayé les brouillards du matin ; lorsque nous nous remîmes en marche, le ciel était magnifique ; un soleil resplendissant, un soleil de Grèce, éclairait la campagne. Tine (l’ancienne Ténos) est creusée circulairement en forme d’entonnoir très évasé. On n’y voit plus trace des grandes forêts qui la couvraient autrefois au dire des anciens, et rien ne subsiste du beau temple, témoignage de la reconnaissance des habitans, délivrés jadis par Neptune d’une population de reptiles qui envahissait l’île et menaçait d’y dévorer toute la population humaine. Les serpens ont disparu comme le temple, et les habitans actuels, igno-