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d’avoir le droit de hisser au-dessus de sa maison un grand pavillon bariolé chaque fois que passe en mer un vaisseau de guerre. La plupart ne parlaient pas l’Italien, et, je l’ai dit, nous ne parlions pas le grec ; la conversation était donc naturellement fort languissante. À l’intérieur, les maisons étaient toutes semblables, blanchies à la chaux, fort proprement meublées et entourées de divans. Elles différaient seulement par le choix des lithographies coloriées qui décoraient les murailles. L’arrestation du pape était remplacée, chez un habitant plus profane, par les aventures lamentables de Mathilde et de Malek-Adel. Ici le solitaire avec sa barbe, Ipsiboë avec son écureuil, et quelques autres personnages de M. d’Arlincourt, dépossédaient les héros éplorés de Mme Cottin. Partout le café fut de rigueur ; le refuser est une grave impolitesse, de sorte que durant cette matinée, avant de rentrer pour dîner, nous en avions avalé chacun quatorze tasses, par pure politesse, c’est-à-dire à nous deux la ration de vingt-huit Parisiens. Mais il faut ajouter que le café turc, moins brûlé et plus parfumé que le nôtre, broyé et non moulu, bouilli dans l’eau et servi avec son marc, est moins une boisson qu’un délicieux manger qui n’agite pas le moins du monde.

Avant de revenir chez notre hôte, nous nous arrêtâmes au couvent de l’Annonciation. Ce couvent est sans contredit le plus beau monument moderne que j’aie vu en Grèce. Ce n’est pas beaucoup dire. Il est construit en marbre blanc tiré des carrières de l’île. L’architecture ne manque pas d’élégance, bien qu’elle ne soit pas du goût le plus pur. L’église surtout, mélange des styles byzantin et turc moderne, hérissée de sveltes minarets, précédée d’un magnifique escalier, est d’un aspect plein d’originalité. Elle est, à l’intérieur, fort richement décorée et surchargée de dorures, selon la coutume grecque. Ce déploiement de luxe, assez singulier dans une pauvre île, s’explique par une légende. On a, dit-on, découvert dans les fondemens de cette église une statue de la madone qui a fait les prodiges les plus extraordinaires. C’est une histoire qui a beaucoup de rapports avec celle de sainte Rosalie de Palerme ; mais à Tine s’est établi un pèlerinage bien autrement méritoire que celui du mont Pellegrino. Les croyans grecs ne peuvent pas, comme les croyans siciliens, accomplir leurs dévotions ou leurs vœux rien qu’en faisant une petite promenade ; ils ne viennent pas de la ville voisine : c’est de toutes les îles de l’Archipel, de tous les coins de la Grèce et de l’Asie mineure, qu’arrive tous les ans à Tine, après une périlleuse navigation, une foule pieuse et écloppée. Aux uns la vue manque, ils deman-