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L’ÎLE DE TINE.

seul rêve ; ses parens sont morts, ses amis l’ont oubliée, toutes ses affections sont en Grèce, et pourtant elle pleure rien qu’en songeant à la patrie absente.

Souvent l’on s’est étonné de la rapidité avec laquelle arrivent les mauvaises nouvelles et de la façon presque miraculeuse dont elles se propagent : nous en eûmes à Tine un singulier exemple. M. Lambre, qui était sans contredit l’homme le mieux informé de l’île, nous apprit que dans la journée le bruit s’était répandu d’un grand malheur arrivé en Allemagne ; une ville dont on ignorait le nom avait été, disait-on, brûlée presque entièrement. D’où venait cette nouvelle ? À notre départ de Syra, il n’en était pas question ; depuis notre arrivée, la violence du vent n’avait laissé aucun caïque aborder l’île, et cependant rien n’était plus vrai ; à notre retour à Syra, nous apprîmes dans tous ses détails l’incendie de Hambourg.

Ne nous attendant pas à un si gracieux accueil, nous étions arrivés à Tine avec l’intention de n’y rester qu’un seul jour. La journée s’était passée sans que nous eussions même songé au départ ; mais le lendemain, craignant de gêner notre hôte en prolongeant notre séjour et de manquer le paquebot si le vent nous contrariait encore, nous annonçâmes qu’il nous fallait partir. Ce fut dans toute la maison un hurra général. Les jeunes filles nous regardèrent avec une surprise mêlée de tristesse, leur mère nous fit demander si nous nous trouvions mal chez elle ; quant à M. Spadaro, il entra dans sa plus grande colère, et, reprenant toute la vivacité de sa jeunesse, il nous déclara que l’on ne traitait pas les gens de la sorte, que l’on ne venait pas se faire aimer pendant un jour seulement pour partir le lendemain ; que d’ailleurs le vent rendait le voyage de Syra fort dangereux, sinon impossible. — Mais, lui disais-je, si nous ne partons pas, le bateau autrichien partira sans nous, et nous n’arriverons pas ce mois-ci à Athènes. — Et si vous vous noyez d’ici à Syra, en arriverez-vous plus vite à Athènes ? N’avez-vous jamais entendu parler, en France, du vaisseau le Superbe ? Il était cent mille fois plus fort qu’aucun caïque, et pourtant il a péri, il n’y a pas déjà si long-temps, entre Andros et Parros ! Si vous êtes jeunes et fous, moi, je suis un vieillard ; vous me devez obéissance. Vous êtes mes hôtes, je vous considère comme étant sous ma responsabilité, et je crois, en l’absence de vos familles, devoir veiller sur vous. Vous ne partirez pas, puisqu’il y a danger à partir, et comme j’ai quelque autorité dans l’île, je défendrai, s’il le faut, à tout caïque de vous prendre.