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LA RUSSIE.

agitée dès les premiers temps de son organisation comme elle l’a toujours été depuis, avait remplacé l’autorité monarchique par un gouvernement républicain. Elle s’était partagée en douze districts régis par douze chefs qui portaient le titre de voiévodes. La division ne tarda pas à éclater entre ces hommes investis du même pouvoir, jaloux l’un de l’autre, tourmentés du besoin de s’agrandir aux dépens de leurs voisins. La guerre civile éclata dans les états confédérés ; la guerre étrangère les menaçait. Un citoyen rusé, un simple forgeron nommé Pxzemyslaw, sauva son pays de l’invasion en présentant aux yeux des ennemis une quantité de mannequins couverts de casques et de cuirasses qu’ils prirent pour une armée vivante, pour une armée nombreuse dont ils eurent peur, et, pour récompense de son heureuse astuce, le forgeron fut élu roi de Pologne. Il mourut sans héritier, et, afin d’échapper à l’ambition des riches, aux brigues des grands, le peuple résolut de donner la couronne à celui qui le premier arriverait au but dans une course solennelle. L’arène est tracée. Des juges choisis parmi les anciens du pays en fixent eux-mêmes les limites et déterminent les conditions de la lutte. Un Polonais, pour assurer son triomphe sur ses rivaux, s’en va le soir semer des pointes de fer sur toute l’étendue de terrain qui doit être parcourue, laissant seulement un étroit espace de côté pour y galoper le lendemain sans entraves. Il venait d’achever son œuvre, et s’en retournait chez lui fort content d’une telle invention, lorsque deux jeunes gens, en traversant l’arène, reconnurent ces perfides préparatifs, remplirent de pointes de fer le sentier que leur déloyal concurrent avait réservé pour lui, et se séparèrent en se jurant l’un à l’autre de garder le secret sur leur découverte. Le lendemain la foule accourt en tumulte autour de la lice. Les juges montent sur leur siége. Le trône royal s’élève avec ses tentures de pourpre près du but. La barrière s’ouvre au bruit des trompettes, des cymbales. Les concurrens se précipitent dans l’arène, et à peine ont-ils fait quelques pas que les chevaux, blessés par les pointes de fer qui leur entrent dans le pied, se cabrent, s’emportent, reviennent en arrière, renversent leurs cavaliers. Au milieu de ce désordre, de cette confusion, des accens de colère de celui qui ne peut maîtriser son cheval, des cris de douleur de celui qui roule sur le sable, des cris de surprise de la foule, deux rivaux poursuivent intrépidement leur route ; l’un, emporté sur un coursier ardent, s’en va droit au but comme une flèche ; l’autre court à pied, à droite, à gauche, pour éviter les pointes de fer et arrive auprès du trône long-temps après son rival. C’étaient les deux jeunes gens qui la veille avaient reconnu ensemble les piéges de l’arène. Les juges se réunissent autour du cavalier, et remarquent que les jambes de son cheval sont revêtues d’une épaisse courroie. Le peuple croit que c’est lui qui a parsemé la lice de clous meurtriers, et le massacre dans sa fureur. Celui qui était arrivé le second au but, en courant prudemment à pied, est proclamé roi. Les chroniqueurs le citent comme l’un des monarques les plus nobles, les plus vertueux, de la Pologne. Le hasard produit parfois de singuliers miracles. La postérité de