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viendra que sa conduite envers Faustus n’en était pas moins empreinte d’une haute générosité.

Arrivé en Suisse, Faustus se renferma dans la plus rigoureuse retraite ; trois années s’écoulèrent ainsi dans le silence de la méditation et de l’étude, trois années durant lesquelles il composa le livre Jésus sauveur des hommes, où se trouve l’expression complète des idées sociniennes, et qui, dès le début, lui assigna le premier rang parmi les penseurs et les écrivains du parti. Ce livre remua l’Europe et déchaîna contre lui toutes les haines du protestantisme ; sa liberté, sa vie même courant de grands risques en Suisse, il quitta précipitamment ce pays, en 1578, pour la Pologne, où l’appelait depuis long-temps le plus sincère et le plus zélé des disciples de son oncle, le médecin Blandrata, cœur ferme, esprit droit et sûr, qui au besoin, sur les débris de sa dernière idée ou de sa dernière espérance religieuse, se fût fait stoïcien, à la façon antique, à la façon d’Épictète ou de Thraséas.

Blandrata conviait Socin à une œuvre immense, hérissée de difficultés et de périls : il le conviait à réprimer l’anarchie invétérée où, depuis les premiers temps de la réforme, vivaient les innombrables églises polonaises. Ralliée aujourd’hui presque tout entière à la foi romaine, la Pologne était, au xvie siècle, l’asile et le rendez-vous de toutes les sectes religieuses. Dès l’année 1520, un disciple de Luther s’était fixé à Dantzick, pour y établir la doctrine de son maître ; il n’exerça d’abord sa mission qu’avec des précautions infinies, évitant les conférences publiques, et n’enseignant que dans les maisons ou les châteaux de quelques seigneurs puissans. Enhardi par ses succès, il ne tarda point à prêcher ouvertement contre l’église de Rome ; en fort peu de mois, il se fit un parti très considérable et très déterminé. Les nouveaux réformés chassèrent les autorités catholiques ; la ville entière fut livrée à la sédition. Les catholiques, dépouillés de leurs charges, portèrent leurs plaintes à Sigismond Ier, roi de Pologne, qui vint à Dantzick, chassa les intrus, et ôta aux évangéliques la liberté de s’assembler.

Les évangéliques, c’était le nom qu’avaient pris les luthériens, ne s’en répandirent pas moins dans le duché de Posen, la Livonie, la Transylvanie, la Wolhynie, la grande et petite Pologne, et attendirent patiemment une occasion qui leur permît d’éclater. Cette occasion se présenta sous le fils de Sigismond Ier, le roi Sigismond-Auguste, prince d’un caractère élevé, mais dont un invincible penchant aux plaisirs et aux débauches paralysa constamment les brillantes qualités. C’était précisément l’époque où la passion que lui avait inspirée une jeune dame de la famille Radzewil reproduisait en Pologne quelques-uns des scandales soulevés en Angleterre par les amours de Henri VIII et d’Anne de Boleyn. À l’exemple de Henri VIII, il épousa sa maîtresse, et la fit asseoir sur son trône ; mais les lois du royaume l’ayant contraint à solliciter le consentement du sénat et de la diète, où siégeaient déjà un très grand nombre de luthériens, ceux-ci exigèrent en retour que l’on tolérât dans leurs châteaux et dans leurs domaines les croyances et le culte des