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LE MOIS DE MAI À LONDRES.

sont pas. De toutes parts, on a bâti dans leur enceinte. Les Anglais auraient placé la grande avenue sur un des côtés pour ne pas couper cette masse de verdure ; nous l’avons, nous, ouverte au milieu. Où les Anglais auraient mis des pelouses, nous avons élevé des maisons. Au lieu de cabanes pour les troupeaux, nous avons eu des restaurans, des cafés et des théâtres, et au lieu d’une rivière qui serpente, des fontaines de bronze doré.

Ainsi, quand les Anglais semblent chercher à s’éloigner les uns des autres, les Français tendent, au contraire, à se rapprocher. Quand chez les uns la campagne triomphe de la ville, chez les autres c’est la ville qui chasse la campagne. Lequel vaut le mieux ? c’est très contesté. Pour mon compte, j’admire sans doute les vertes prairies et les horizons paisibles des parcs anglais ; mais, s’il faut absolument choisir, j’avoue que je préfère la manière française, ce qui paraîtra sans doute très surprenant chez un Français. Le jardin des Tuileries est pour moi l’idéal d’un jardin public. J’aime les champs autant qu’un autre, mais les vrais champs. Ces orangers en fleurs, ces nymphes gracieuses de marbre blanc, ces eaux jaillissantes, ces larges terrasses, ne me déplaisent pas à la ville. Les somptueux marronniers n’en sont que plus beaux à mes yeux, quand leurs larges masses sont alignées pour former une allée ou disposées en demi-cercle pour entourer un bassin d’un amphithéâtre de verdure. Il me semble que la main de l’homme ajoute encore à la majesté de ces arbres incomparables en les groupant dans un ordre solennel. Dans les Champs-Élysées eux-mêmes, j’admire cette ligne unique au monde qui se termine par l’Arc-de-Triomphe, et qu’anime tout le mouvement d’une des entrées de Paris les plus fréquentées. J’aime ces élégantes constructions semées sous les ombrages et qui en peuplent le vide, ces fontaines qui ne se taisent ni jour ni nuit, et ces spectacles de tout genre qui appellent à grand bruit les promeneurs distraits. Quand je veux de la solitude et du silence, je sais qu’il faut les chercher ailleurs.

Je ne regrette de Londres qu’un peu de gazon. Le gazon tient lieu de tout en Angleterre ; c’est presque le seul ornement des promenades publiques ; en revanche, il manque trop à Paris. Je sais qu’on donne pour raison la différence du climat, mais cette excuse n’est pas suffisante. Que nous ne prétendions pas à ces immenses prairies qui ressemblent à de grandes nappes de velours vert, je le comprends ; mais avec un peu de soin, il serait possible d’avoir à Paris assez de fraîche verdure pour réjouir et reposer les yeux de