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depuis long-temps. Ainsi s’accomplira lentement et pacifiquement, sous les auspices de la liberté, la grande révolution nationale, pourvu que les circonstances extérieures ne viennent pas tout compliquer ; et cette révolution peut aller bien loin, plus loin qu’on ne croit, sans toucher aux sources de la prospérité du pays, au contraire. Quand la société anglaise serait renversée de fond en comble, quand son système financier serait changé, quand ses colonies seraient perdues, l’Angleterre sera toujours prospère, tant qu’elle conservera ce qui a fait sa gloire, l’habitude de la liberté.

Deux grandes questions, qu’on peut appeler extérieures, préoccupaient tous les esprits à Londres le mois dernier, et continuent encore à y exciter sérieusement l’attention : l’une est la division de l’église d’Écosse, l’autre est l’agitation de l’Irlande pour le rappel. Eh bien ! il ne faut pas croire que ces complications, quelque graves qu’elles soient, produisent en Angleterre, sur l’opinion publique, la moitié seulement de l’effet qu’elles produiraient chez nous. Les Anglais ont le caractère plus froid et l’esprit moins prompt que les Français, ils n’ont pas cette vivacité d’imagination qui double le mal présent par la prévoyance du mal à venir ; ils sont d’ailleurs habitués depuis des siècles à tous les tumultes de la liberté, et le désordre peut être poussé bien loin avant de les inquiéter. Cette querelle intestine dans l’église d’Écosse, qui aurait pu être partout ailleurs le signal d’une révolution, a été vue avec déplaisir sans doute, avec regret, mais sans une alarme réelle. Chacun pressent vaguement qu’il y aura là une source d’embarras pour l’avenir, car l’histoire politique de l’Écosse est tout entière dans son histoire religieuse, et la question touche de près aux conditions mêmes du traité d’union entre les deux pays. Mais pour le moment d’aussi grosses difficultés ne sont pas soulevées ; la séparation du 18 mai s’est effectuée sans désordre matériel ; le chef actuel du mouvement, le célèbre docteur Chalmers, a parlé un langage modéré et sage dans l’assemblée de la nouvelle église libre d’Écosse ; le gouvernement lui-même se montre disposé à faire des ouvertures de conciliation. Le présent semble se calmer ; c’est bien. Quant à l’avenir, il prendra soin de lui-même.

L’affaire d’Irlande est autrement grave. Ici, ce n’est plus seulement des principes qu’il s’agit, les conséquences commencent à se montrer, et elles apparaissent redoutables. L’Irlande est la plus grande plaie de l’Angleterre ; c’est en Irlande que le vieux système de monopole et de privilége a porté ses plus détestables effets.