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ce qu’il y a eu jusqu’à cet instant d’insuffisant dans son amour, et d’une fougueuse admiration en pensant aux instincts d’enthousiasme impatient qui ont entraîné sa femme, il sent naître en lui, pour celle dont il a été abandonné, le plus aveugle des dévouemens. La comtesse Octave s’était enfuie avec un homme dont l’ame cachait peut-être une fleur bleue, mais renfermait à coup sûr des sentimens infiniment moins solides que celle du conseiller d’état. Ce triste personnage abandonne sa maîtresse parce qu’elle n’a pas eu la précaution d’emporter, ainsi que cela se pratique dans un enlèvement sagement médité, une cassette pleine de pierreries. « Le misérable, dit le comte dans un transport d’indignation à un honnête jeune homme auquel il raconte ses mésaventures, le misérable laisse la chère créature enceinte et sans un sou ! » Heureusement le mari est là pour servir de providence à la femme que délaisse l’amant. Sans se faire connaître, en employant les moyens secrets que sa haute position dans l’état met à son service, il entoure de soins de toute sorte la chère créature. Il obtient à prix d’or, de l’un des plus habiles accoucheurs de Paris, qu’il se déguise, pour aller la délivrer, en petit chirurgien de faubourg. La comtesse, après avoir mis au monde un enfant qui ne vit pas, veut, malgré les propositions de secours que le comte lui fait faire par des intermédiaires, soutenir son existence à l’aide d’un travail manuel. Cependant, comme on se l’imagine, une femme qui a quitté son mari par amour de l’idéal ne peut se livrer qu’à un travail choisi et délicat. Elle prendra l’état de prédilection de tous les romanciers qui se décident à rendre actives les blanches mains de leurs héroïnes, elle sera fleuriste. Le comte Octave n’a pas plutôt appris cette résolution que les commandes viennent en foule trouver la belle comtesse. Il n’est pas de jours où on ne lui demande des fleurs, et toutes ses fleurs lui sont payées aussi cher que si ses doigts les avaient cueillies dans le jardin des fées. L’amant Sylphe, de Marmontel, n’est qu’un ignorant et un lourdaud, en matière d’attentions galantes, à côté de ce mari invisible. Des revendeuses à la toilette vont proposer pour quelques louis, à la comtesse Octave, des cachemires qui, offerts par un amant ou par un époux, pourraient rétablir ou troubler la paix d’un ménage. La sollicitude du conseiller d’état s’étend jusqu’aux plus petits détails de cette existence, qu’il occupe toutes les facultés de son esprit à embellir. Il entend que les jouissances gastronomiques ne fassent pas plus défaut à sa femme que celles de la parure. Pendant de l’accoucheur dont nous venons de parler, une émule féminine de Vatel, qu’on a déterminée à cacher sous le voile de l’incognito une célébrité appréciée par tous ceux qui connaissent les annales des dîners politiques, a été attachée à la fleuriste. Faut-il parler maintenant de la maison qu’habite la noble ouvrière ? C’est un charmant pavillon auprès d’un jardin avec des boudoirs tendus de soie et des salons dorés. Rien ne maque à cette féerie qu’un beau prince sortant tout à coup d’un buisson de roses pour se déclarer l’auteur de toutes ces merveilles. Malheureusement le conseiller d’état se rend la justice qu’il ne peut pas jouer le rôle d’un beau prince, surtout vis-à-vis de sa femme. Il est bien dur cependant d’appliquer le principe évangé-