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lique du secret à des bienfaits d’une semblable nature. Et, d’ailleurs, le comte Octave sait-il si sa femme, en apprenant les ruses ingénieuses de sa délicate passion, ne trouvera point que la fleur bleue commence à pousser dans son ame et à y jeter d’attrayans parfums ?

Après de longues hésitations, il se décide à user d’un stratagème aussi bizarre que périlleux pour arriver à reconquérir celle qu’il a jadis possédée. Il détermine son secrétaire, jeune homme d’un caractère honnête et d’une intelligence distinguée qu’il avait déjà pris pour confident de son patient amour, à s’aller loger sous un nom d’emprunt dans la maison qu’habite la comtesse. Ce secrétaire, dont le visage est beau et expressif tâchera d’intéresser la fleuriste par un air d’indifférence et de mélancolie dû à de mystérieux malheurs ; quand il aura capté sa confiance, au lieu d’user de ce résultat pour faire réussir une entreprise personnelle, il abordera en vertueux serviteur la partie la plus délicate de sa mission. Il fera peu à peu apparaître l’ombre du mari et se retirera dès qu’on en sera venu à souhaiter que cette ombre se change en réalité. Le jeune homme se met avec ardeur et dévouement à cette singulière tâche. C’est alors que commence la partie ténébreuse de ce roman et que, pour employer l’expression d’un philosophe, nous nous égarons entièrement dans les souterrains de la psychologie. Quelle serait, pour me servir encore d’un terme philosophique, quelle serait, d’après les données du sens commun, la conduite que devrait tenir Honorine ? Il semble qu’une fois la confiance établie entre elle et le beau messager, elle n’ait que deux partis à prendre, l’un, dont on s’étonnera sans doute qu’Octave ne se soit pas plus effrayé, de faire une nouvelle expérience de l’amour avec le négociateur de son mari ; l’autre, celui qui comblerait tous les vœux du conseiller d’état, de retourner simplement auprès d’un époux dont elle connaît maintenant les trésors de délicatesse. Il est possible qu’en définitive Honorine arrive à une de ces résolutions, mais elle ne les prendra jamais l’une ou l’autre que d’une façon incomplète, avec toute sorte de réserves, et amenée à ce résultat par la série des scènes les plus compliquées qui puissent se passer au fond du cœur. Honorine, en apprenant la conduite de son mari, sent une souffrance aiguë au lieu de transports de reconnaissance et de tendresse. À chaque proposition qui lui est faite au nom de l’honnête magistrat, elle pousse un cri de désespoir. « Je l’estime, je le respecte, je le vénère, il est bon, il est tendre, mais je ne puis plus aimer… Je suis les pieds dans les cendres de mon Paraclet. » Voilà quelle est sa réponse. Il faut dire aussi que le regard mélancolique du négociateur est pour quelque chose dans sa répugnance à repasser le seuil de la maison conjugale. Cependant après mille marches, mille détours dans le domaine de la passion qui exigeraient, pour être expliqués et compris, une carte de l’ame semblable à celle du Tendre, elle se décide un jour à rejoindre son époux, mais elle le rejoint la mort dans le cœur. Le pauvre homme, malgré tous ses soins, n’a pu faire naître en lui la qualité que sa femme cherchera toujours. Dévorée par le besoin de l’idéal, elle meurt d’une maladie