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REVUE DES DEUX MONDES.

Un article remarqué et très spirituel de M. Lerminier a initié de reste les lecteurs de la Revue à ces prétentieuses élucubrations, où Dieu et l’homme sont également compromis dans une genèse burlesque. Nous sommes très disposé à ne pas contester au poète l’originalité de sa philosophie : nous soupçonnons même que personne ne s’avisera de réclamer l’honneur de l’invention. Toutefois, dans ses compositions littéraires, M. Guiraud ne retrouve pas le même tour d’imagination créatrice. Flavien voulait faire oublier les Martyrs ; on sait ce qu’il en est advenu.

Une œuvre épique pour le poète, un système pour le penseur, sont d’ordinaire l’effort et la préoccupation patiente d’une vie tout entière. M. Guiraud dédaigne ces vains scrupules, qui peuvent arrêter ceux qui n’ont que du génie : M. Guiraud, mieux doué, mens divinior, traverse les entraves sans même s’en apercevoir. Après les élégies des odes, après les odes des tragédies, après les tragédies des romans dévots, après les romans une épopée en prose, après l’épopée enfin une ontologie et un système du monde : on pouvait raisonnablement croire que l’auteur des Petits Savoyards s’en tiendrait là. Mais n’est-ce pas folie de se fier aux conquérans ? Aussi M. Guiraud vient-il d’ajouter une province de plus à son empire. Il fallait bien que Lamartine eût son tour après Châteaubriand : Jocelyn devait être éclipsé comme l’avaient été les Martyrs. Voilà en effet qu’entre une lettre à l’Univers contre la philosophie de l’Université (il est vrai que cette philosophie ne ressemble guère à celle de M. Guiraud), et une missive à la Gazette de France sur le vote universel, l’infatigable écrivain trouve le temps de publier un poème à la fois intime et social, un poème où il est beaucoup question de lui et quelque peu question de Dieu. Le Cloître de Villemartin[1] n’a pas moins de six mille vers ; M. Guiraud fait payer cher le droit de le juger.

L’impression générale qu’on garde de cette lecture est singulièrement confuse, ou, pour parler la langue délicate et nuancée de l’auteur, elle est chaotique et brouillardée. On doit convenir sans doute que s’il y a dans la poésie moderne un genre libre, un genre qui n’impose pas la régularité et qui n’astreigne pas aux compartimens, c’est le poème lyrique tel que l’a entendu Byron, tel que l’a réalisé chez nous Lamartine. La description s’y entremêle volontiers au récit, l’élégie s’y rencontre à côté du drame, les élans de l’ode y ont leur place auprès des spéculations du penseur. J’irai au-delà et j’accor-

  1. Un vol. in-8o, chez Furne, rue des Grands-Augustins.