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SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE.

m’en charge pas, mais essayez. C’est d’un pompeux, ou d’un pimpant, ou d’un négligé, ou d’un discret, ou d’un libertin affectés. Oh ! qu’on me rende la race de ces honnêtes gens de talent qui faisaient tout bonnement de leur mieux, avec naturel, travail et sincérité !

Une petite histoire de la fatuité en littérature serait celle du goût lui-même. Sous Louis XIII on était fat, sous Louis XIV on ne l’était pas. En ce judicieux et glorieux règne littéraire, je ne vois guère de fats parmi les écrivains de renom que Saint-Évremond, Bussy, c’est-à-dire des restes de la précédente régence, — un peu Bouhours. Fontenelle, décidément, commence ; c’est le pédant le plus joli du monde. La fatuité, qu’on le sache bien, n’est qu’une variété, qu’on a tort de croire élégante, du pédantisme.

La fatuité combinée à la cupidité, à l’industrialisme, au besoin d’exploiter fructueusement les mauvais penchans du public, a produit, dans les œuvres d’imagination et dans le roman, un raffinement d’immoralité et de dépravation qui devient un fait de plus en plus quotidien et caractéristique, une plaie ignoble et livide qui chaque matin s’étend. Il y a un fonds de De Sade masqué, mais non point méconnaissable, dans les inspirations de deux ou trois de nos romanciers les plus accrédités : cela gagne et chatouille bien des simples. Pour les femmes, même honnêtes, c’est un ragoût ; elles vont, elles courent dès le réveil, sans le savoir, à l’attrait illicite et voilé. Comme je ne me pique pas le moins du monde d’être agréable aujourd’hui, je dirai, même aux dames, toute ma pensée : « Tout le monde (c’est « La Bruyère qui parle[1]) connoît cette longue levée qui borne et qui resserre le lit de la Seine, du côté où elle entre à Paris avec la Marne qu’elle vient de recevoir : les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule ; on les voit de fort près se jeter dans l’eau, on les en voit sortir, c’est un amusement : quand cette saison n’est pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore, et, quand elle est passée, elles ne s’y promènent plus. » Certes, sur cette levée où se promenaient les bourgeoises du temps de La Bruyère, il y avait plus d’honnêtes femmes que de celles qui ne l’étaient pas, et pourtant elles s’y promenaient et y faisaient foule — innocemment. De même, pour les belles lectrices, il y a je ne sais quelle attraction, mais ici moins naïve et plus perfide, sous ces combinaisons qu’elles pressent avec anxiété sans les bien démêler. —

  1. Chapitre de la ville.