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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

MM. Cail et Derosne, les mit en mouvement le 1er  octobre 1838. La première année, il fabriqua 550,000 kilogrammes de sucre ; la seconde, 900,000 ; la troisième, un million. En retirant de la canne une quantité de sucre qui excède de 30 à 40 pour 100 la moyenne commune, il obtint une qualité infiniment supérieure à tout ce que produisent ses concurrens. M. Daubrée, qui vient de s’embarquer pour la Guadeloupe avec un choix d’appareils, y réalisera également des prodiges. L’exemple entraînera peu à peu les autres propriétaires. Au lieu de renouveler isolément leur matériel, ils associeront leurs capitaux pour fonder de grandes usines où ils enverront leurs récoltes. Les résultats de cette simple innovation sont incalculables. N’est-il pas évident que les planteurs, consacrant tous leurs soins au travail des champs, pourront enfin s’approprier les méthodes européennes, économiser les forces humaines par l’emploi de la charrue, renouveler les cultures qui s’épuisent, varier les exploitations, essayer des défrichemens. De son côté, le nègre, possesseur d’un coin de terre, cultivera la canne, lorsqu’il sera sûr de vendre à la fabrique sa chétive récolte, de même qu’il vend au marché les fruits de son jardin. On verra ainsi la petite propriété se constituer sans que la production des denrées tropicales s’amoindrisse, et le sucre colonial, obtenu en plus grande quantité et à plus bas prix, triomphera certainement du sucre indigène sur les marchés de la métropole.

Cette perspective est tellement éblouissante, qu’on craint, en la considérant, d’être dupe d’une illusion. Et pourtant nous ne sortons pas des limites étroites de la vraisemblance. Si l’indemnité contribuait à l’extinction des dettes hypothécaires ; si l’argent était ramené, comme dans les îles voisines, au taux de 6 pour 100, de façon à ce qu’on pût établir aisément un fonds de roulement pour les salaires ; si de bonnes méthodes de culture étaient introduites ; si la fabrication était perfectionnée, toutes choses possibles, toutes choses probables, pourvu que l’émancipation soit bien conduite, l’abolition de l’esclavage serait un bienfait plus certain pour les maîtres que pour les esclaves.

La régénération sociale de nos colonies doit être couronnée par un ensemble de réformes politiques et administratives. Une loi du 24 août 1833 a institué des conseils coloniaux qui partagent l’autorité législative, en ce qui les concerne, avec les trois pouvoirs constitutionnels. Ces assemblées locales communiquent avec la métropole par l’intermédiaire de leurs délégués. Consultés sur les questions relatives à l’esclavage, ces conseils ont répondu avec une aigreur qui sort des convenances délibératives, et leur attitude a démontré qu’ils sont moins propres à représenter les intérêts généraux de nos colonies émancipées que les préjugés et les passions de la race blanche. Déchirer la charte coloniale de 1833 serait une mesure extrême qui ressemblerait à un châtiment, si elle n’était pas adoucie par une honorable compensation. Il entre donc dans les desseins du gouvernement d’assimiler nos établissemens coloniaux aux départemens français, en leur accordant la représentation directe dans la chambre élective. Un projet de loi, conçu dans ce sens, a été élaboré par la commission. Si ce projet obtenait la sanction légale, la com-