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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/344

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REVUE DES DEUX MONDES.

se réunirent à Chambéry sous le nom d’Assemblée nationale des Allobroges. L’homme influent dans cette assemblée, qui ne siégea que huit jours, celui qui dirigea tout, et dicta presque tous les décrets, fut le député Simond, de Rumilli dans le Mont-Blanc, ci-devant prêtre, guillotiné en 1794. Une loi de cette assemblée invita tous les citoyens qui avaient émigré dès le 1er août 1792 à reprendre leur domicile dans le terme de deux mois, sous peine de confiscation de tous leurs biens. On antidatait l’émigration, comme on voit, et on la faisait même antérieure à l’entrée des Français dans le pays : c’était pour atteindre certains grands propriétaires.

Les militaires firent leur devoir et restèrent à leur poste, fidèles à leurs sermens. Presque tous les autres (et M. de Maistre de ce nombre), les femmes surtout et les enfans, rentrèrent en Savoie sur la foi de l’assemblée. Au cœur de l’hiver, ils arrivèrent et reprirent domicile dans le délai qui s’était prolongé jusqu’au 27 janvier 93 ; mais, au lieu de la tranquillité qu’ils avaient droit d’attendre, ils ne trouvèrent qu’une persécution cruelle. L’auteur du mémoire, témoin oculaire, en signale les hideuses particularités qui ne sont qu’une variante de ce qui se passait alors universellement : on emprisonne les hommes d’une part, les femmes de l’autre ; on sépare les mères et les enfans ; on sépare les époux : « C’était, disait le représentant Albitte, pour satisfaire à la décence. » — « La cruauté dans le cours de cette révolution a souvent eu, s’écrie l’auteur, la fantaisie de plaisanter : on croit voir rire l’Enfer ; il est moins effrayant quand il hurle. »

Le règlement des prisons destinées à renfermer les suspects les accuse d’un crime tout nouveau, d’être coalisés de volonté avec les ennemis de la république ; sur quoi l’auteur ajoute : « Caligula ne punissait que les rêves, il oublia les désirs ! »

Le 1er septembre 1793, tout d’un coup, en vertu d’une détermination soudaine, à minuit, on tire les détenus de prison et on les transporte sur des charrettes de Chambéry à Grenoble, où ils manquent en arrivant d’être massacrés par la populace. Puis un autre caprice les ramène de Grenoble à Chambéry ; le 9 thermidor les sauve : « Dans le 9 thermidor, dit l’auteur du mémoire, c’est une opinion universelle dans le département du Mont-Blanc, tous les prisonniers devaient être égorgés. »

Dans un moment si terrible, il arriva ce qui devait arriver : tous ceux qui purent s’échapper le firent et se réfugièrent soit en Piémont,