Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
REVUE DES DEUX MONDES.

la religion de l’état, la religion de la loi, n’a jamais pu devenir, en Irlande, la religion populaire. Le culte proscrit, au contraire, a été fécondé par le sang, et des siècles de persécution n’ont fait que l’enraciner plus avant dans le cœur du peuple. Et comme le clergé catholique exerçait une influence politique en même temps que religieuse, il a constitué à côté et en dehors de l’état un pouvoir indépendant et irresponsable qui était à l’abri des lois, parce qu’il agissait sur les consciences et sur les sentimens, et qui était incompatible avec la sécurité de toute espèce de gouvernement. C’est ce caractère politique du clergé qui le rend surtout redoutable ; c’est le clergé qui, en Irlande, fait les élections ; c’est lui qui est à la tête des associations : à tous les meetings, les paroisses arrivent par bandes conduites par leurs prêtres, et le rappel est prêché du haut des chaires aussi bien que du haut des hustings. Le gouvernement a beau faire ; il n’est pas de force à lutter contre le pouvoir spirituel, contre cette puissance insaisissable et incontrôlable qu’il peut concilier, mais qu’il ne vaincra pas.

Quelle a été, dans ces derniers temps, la condition du clergé catholique en Irlande ? Jusqu’à la révolution française, il avait été composé en grande partie par des prêtres élevés dans les séminaires de France, d’Italie et d’Espagne. Ici, je laisse un protestant rendre lui-même justice au caractère de ce clergé : « La mémoire de ces prêtres, dit lord Alvanley, est encore fraîche auprès de beaucoup de contemporains, et la conduite douce, conciliante et gentlemanly du vieux prêtre français et espagnol est souvent mise en contraste avec celle des partisans politiques qui composent le clergé actuel. » La révolution et la guerre générale interrompirent ces communications religieuses de l’Irlande avec l’Europe ; le clergé indigène devint peu à peu moins éclairé, sans cesser d’être aussi populaire. Au contraire, se recrutant de plus en plus dans les classes inférieures, partageant des passions souvent ignorantes et aveugles, mais toujours patriotiques, il établit encore plus profondément son empire sur les masses. Aujourd’hui, les prêtres sont tout-puissans en Irlande ; ils y règnent sans contrôle, et le peuple n’est qu’un instrument entre leurs mains.

Le gouvernement anglais, instruit par une expérience de plusieurs siècles, doit comprendre que nul pouvoir politique ne déracinera de l’Irlande sa religion nationale, et que nulle législation pénale n’y détruira l’empire que le clergé exerce sur le peuple. C’est une entreprise inutile à laquelle tout gouvernement qui ne sera pas absolument dénué d’intelligence devra renoncer. La répression est une œuvre évidemment impossible ; l’Angleterre, par intérêt autant que par justice, ferait donc mieux d’employer la conciliation. Le clergé irlandais est hostile au gouvernement, mais est-ce bien là la véritable tendance du clergé catholique ? Non : l’élément catholique est de sa nature conservateur, il est essentiellement porté vers l’ordre, vers l’autorité ; ce n’est que par exception qu’il se fait révolutionnaire, et l’Irlande est depuis des siècles sous le poids d’une législation exceptionnelle. C’est le pouvoir temporel qui, en se mettant en hostilité directe avec le pouvoir spirituel, le jette forcé-