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JOSEPH DE MAISTRE.

prète vivant et d’un pontife de vérité : « Nous seuls, dit-il, croyons à la parole, tandis que nos chers ennemis s’obstinent à ne croire qu’à l’écriture… Si la parole éternellement vivante ne vivifie l’écriture, jamais celle-ci ne deviendra parole, c’est-à-dire vie. Que d’autres invoquent donc tant qu’il leur plaira la parole muette, nous rirons en paix de ce faux dieu, attendant toujours avec une tendre impatience le moment où ses partisans détrompés se jetteront dans nos bras, ouverts bientôt depuis trois siècles. » Tout ce passage est d’un bel accent.

Particulièrement lié à Lausanne et à Genève avec beaucoup d’hérétiques il sut cultiver et garder jusqu’à la fin leur amitié. Un jour qu’il avait parlé avec beaucoup de feu contre les premiers fauteurs de la révolution, Mme Huber (de Genève) lui dit : « Oh ! mon cher comte, promettez-moi qu’avec votre plume si acérée vous n’écrirez jamais contre M. Necker personnellement. » Elle était un peu cousine de M. Necker. Il promit. À quelque temps de là, vers 1819, à l’occasion, je crois, du congrès de Carlsbad ou d’Aix-la-Chapelle, parut une brochure de l’abbé de Pradt où M. Necker était maltraité. On crut un moment que M. de Maistre en était l’auteur. Quelqu’un le dit à Mme Huber : « Eh bien ! votre comte de Maistre, il vous a bien tenu parole… » Elle répondit : « Je n’ai pas lu le livre ni ne le lirai ; mais, si M. Necker y est attaqué, il n’est pas du comte de Maistre, car il n’a en tout que sa parole. » Belle certitude morale en amitié, de la part d’un de ces chers ennemis !

M. de Maistre, me dit-on encore, était à certains égards un homme inconséquent ; il se plaisait à tout, à toute lecture, au trait qui l’attirait. On raconte que Sieyès et M. de Tracy lisaient perpétuellement Voltaire ; quand la lecture était finie, ils recommençaient ; ils disaient l’un et l’autre que tous les principaux résultats étaient là. M. de Maistre, sans le lire sans doute ainsi par édification, l’ouvrait souvent aussi et par divertissement, pour se mettre en humeur. Telle femme de ses amies n’a connu beaucoup de Voltaire que par lui. Mais c’était à son imagination qu’il accordait ce plaisir, sans jamais laisser entamer l’idée ni la foi. Excursion faite, la conclusion rigoureuse revenait toujours.

Sous ce dernier aspect, on peut le donner pour le plus conséquent des hommes, celui de tous chez qui la foi, l’idée acceptée et crue, était le plus devenue la substance et faisait le plus véritablement loi. À quelque point de la circonférence qu’on le prît sur toutes les parties et dans tous les points de son être et de sa vie, sa foi entière