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JOSEPH DE MAISTRE.

Comme procédé, il avait parfaitement raison, et il demeurait absous. Mais, au fond, M. de Bonald ne s’était pas trompé sur la portée de l’ouvrage qu’il avait pris au bond. Le Principe générateur, à chaque page, est comme un soufflet donné à la Charte et à nos constitutions écrites.

Déjà dans les Considérations, M. de Maistre avait fort insisté sur l’ancienne constitution monarchique écrite ès-cœurs des Français ; il revient expressément ici sur l’origine divine de toute constitution destinée à vivre. Nourri de l’antiquité, abreuvé à ses hautes sources et à ses sacrés réservoirs, il comprend la force et nous révèle le génie inhérent des législateurs primitifs, des Lycurgue, des Pythagore. Il est lui-même, comme esprit, de cette lignée des Pythagore et des Platon ; il en retrouve et en fait puissamment sentir l’inspiration politique et civile, voisine du sanctuaire ; en ce sens, on a eu raison de dire ce beau mot, qu’il est le prophète du passé[1].

Mais un autre ordre de temps est venu ; de nouvelles conditions générales ont été introduites dans le monde ; un Lycurgue s’y briserait. Il faut subir son temps pour agir sur lui. M. de Maistre ne voit que les principes antiques, et les voyant vivans et pratiqués (avec moins de rigueur pourtant qu’il ne le dit) dans le passé, dans un passé récent, il a l’air de croire qu’on pourra les replanter exactement tels ou à peu près dans l’avenir, dans un avenir prochain ; il se trompe. Ces principes, autrefois et hier encore vivans, ainsi replantés, deviennent aussi abstraits et aussi morts que ceux des constitutionnistes et des faiseurs sur papier dont il se moque. On ne replante pas à volonté les grands et vieux arbres ; et des nouveaux, c’est le cas, pour le réfuter, de dire avec lui : rien de grand n’a de grand commencement, crescit occulto velut arbor œvo. En effet, à travers ce qu’il appelle un pur interrègne, un chaos, quelque chose en dessous s’est péniblement formé, ou du moins trituré, pétri, préparé ; c’est ce quelque chose de nouveau et de mixte qui doit faire le fond du prochain régime et qui doit vivre. Il manquait à M. de Maistre, absent, de l’avoir vu de près, encore sans nom (car le nom de tiers-état dont Sieyès l’avait baptisé au début n’était que l’ancien). La constitution de l’an III, dont l’auteur des Considérations se moque, tenait déjà compte à sa manière, autant qu’elle le pouvait dans l’effervescence, de cette moyenne encore informe de la nation que les journées de fructidor et autres coups d’état refoulèrent. Le consulat surtout en

  1. Ballanche, Prolégomènes.