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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

Comme le capital de la société anonyme peut se diviser à volonté, et que les associés ne sont unis que par là, sans que leur présence au siége de la société soit nécessaire, les portions du capital ou les titres qui les représentent peuvent se répandre au loin sur toute la surface d’un pays et jusque dans les pays étrangers. Ainsi tous les nationaux peuvent être appelés à concourir à l’exécution d’une entreprise nationale, et les commerçans de tous les pays à celle d’une entreprise qui intéresse le commerce tout entier. Rien qui réponde mieux que le principe d’une telle association à l’esprit cosmopolite du commerce ; rien qui favorise plus directement cette fusion commerciale de tous les peuples vers laquelle l’industrie moderne tend d’une manière si visible et par des efforts si continus.

Et puis quelles facilités pour proportionner le capital à l’étendue de l’entreprise ! Un capitaliste possède une fortune déterminée ; il jouit d’un crédit qui a ses bornes ; cette fortune et ce crédit peuvent excéder les limites des besoins ou demeurer fort au-dessous. Dans le premier cas, c’est à peine s’il daignera s’attacher à des opérations au-dessous de ses moyens ; dans le second cas, beaucoup plus ordinaire, il n’éprouvera que des embarras et des mécomptes. Dans une société comme celle qui nous occupe, le capital est élastique, il peut s’étendre ou se resserrer à volonté.

C’est surtout pour les grandes entreprises que la société anonyme l’emporte, non-seulement sur les particuliers, ce qui est trop facile à comprendre, mais encore sur les autres formes de l’association. La société en nom collectif, on l’a déjà vu, ne peut guère s’étendre à cause de ses exigences trop rigoureuses. La commandite elle-même, quand on n’en force pas tous les ressorts, est assez bornée dans ses moyens. Mais, dans la société anonyme, la base de l’association peut s’élargir à volonté, et on ne voit pas de limite à l’extension du capital. C’est pour cela que cette espèce de société est vraiment la seule qui soit à la hauteur de toutes les conceptions industrielles.

Elle ne l’emporte pas moins par l’excellence de sa constitution. Dans la société en nom collectif, le pouvoir égal et l’intervention directe de tous les membres engendrent des conflits : ce sont des débats journaliers et des tiraillemens sans fin. Si la commandite échappe à cet inconvénient, c’est en imposant, à ceux qui la nourrissent et la soutiennent de leurs capitaux, une trop grande abnégation de leurs droits. La société anonyme remet toutes choses à leur place, et fait régner l’ordre sans étouffer le droit. Elle laisse à la masse des actionnaires un pouvoir suffisant, le seul, d’ailleurs, qui puisse être utilement exercé par elle, celui de nommer, de contrôler, de révoquer les directeurs. Quant aux fonctionnaires, c’est-à-dire à ce groupe d’hommes qui viennent apporter à la société leur industrie, elle les organise suivant le seul principe qui puisse maintenir l’unité et l’harmonie dans un groupe de travailleurs, le principe de la hiérarchie et de l’autorité. Nommés par la masse dont ils dépendent, les directeurs ont, à leur tour, une autorité absolue sur les autres employés, qui ne dépendent que d’eux. Ainsi, entre les associés règne l’égalité, condition nécessaire de l’association proprement dite ; entre