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DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

s’adressent d’abord aux capitalistes, comment les détermineront-ils à seconder leurs vues ? Ce n’est plus assez de leur communiquer leur projet, de leur exposer leur plan, de leur en faire adopter la direction et les bases ; il s’agit bien d’autre chose. Ce doute qui les a tourmentés au moment de la conception de leur projet, et qu’ils ont eu le courage de braver, ils vont le rencontrer dans l’esprit de tous ceux dont ils provoqueront le concours, et il va devenir leur plus redoutable adversaire. Votre projet est excellent, leur dira-t-on, vos plans sont bien conçus, votre direction est sage ; mais obtiendrez-vous l’approbation du conseil d’état ? Voilà l’objection qu’on leur présentera de toutes parts, et qu’auront-ils à répondre ? Quand on sait combien les capitaux sont capricieux, qu’on nous pardonne le mot, et quels faibles motifs suffisent pour les détourner des entreprises les plus utiles, on ne peut s’empêcher de voir dans cette objection seule l’un des obstacles les plus sérieux à la formation d’un capital social.

Pour obtenir l’approbation du conseil d’état, disons mieux, pour avoir seulement le droit de se présenter à sa barre, il faut avoir formé le capital social : c’est une obligation impérieuse ; mais pour déterminer les capitalistes à concourir à la formation de ce capital social, il faudrait avoir obtenu d’avance l’approbation du conseil d’état : c’est une nécessité morale. Voilà donc les fondateurs comme enfermés dans un cercle infranchissable. Quel moyen d’en sortir ? Comment arriver au but qu’on se propose ? Soumettre l’exercice d’un droit à de semblables épreuves, n’est-ce pas l’anéantir ?

On voit bien que nous raisonnons ici en faisant abstraction de l’esprit dans lequel le conseil d’état dirige le pouvoir exorbitant qui lui est départi. De quelque manière qu’il l’exerce, il ne fera jamais que la seule idée de recourir à lui n’effarouche la plupart des commerçans, surtout en province, où le conseil d’état apparaît comme une sorte de tribunal inabordable. Il faut ajouter, d’ailleurs, qu’il se montre vraiment plus sévère qu’il ne convient, et qu’il étend son contrôle beaucoup plus loin que la nature de ses fonctions ne le demande. Il devrait se borner à constater la sincérité des actes, et ne point s’enquérir des chances de réussite dont les parties intéressées sont les seuls juges. Il s’en faut bien qu’il use de cette sage réserve. Si l’on veut être édifié sur sa manière de procéder, on peut trouver quelques détails fort curieux à ce sujet dans l’écrit de M. Vincens que nous avons déjà cité. Nous regrettons que l’étendue de ce passage ne nous permette pas de le transcrire. Après l’avoir lu, on se demande comment il est possible que quelques sociétés anonymes viennent encore de temps en temps à paraître au jour, après avoir échappé à l’inextricable réseau de formalités dont on les enveloppe.

Qu’est-ce donc maintenant que la société anonyme en France ? Est-ce par hasard une forme d’association que le commerce puisse appliquer à son usage ? Évidemment non ; c’est une forme réservée par privilége à certaines entreprises extraordinaires qui se recommandent par une grandeur ou un éclat inusité. Celles-là seules, en effet, peuvent se présenter devant le conseil d’état avec des chances raisonnables de succès, sur lesquelles l’opinion