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LA PEINTURE SOUS LOUIS XV.

laissa un élève reconnu, François Boucher, dont le marquis d’Argens parle ainsi : « Génie universel qui rassemble en lui les talens de Véronèse et du Gaspre, choisissant dans la nature ses plus gracieux airs de tête. »

Boucher est né à l’heure où mourait Bossuet ; il ne restait plus que des vestiges du grand règne. Fontenelle seul, ce pressentiment du XVIIIe siècle, se montrait debout grand comme un nain sur la tombe de Corneille, du Poussin, de Molière, de Lesueur et de La Fontaine. La France était épuisée par ses magnifiques enfantemens ; les saintes mamelles de la mère-patrie étaient presque desséchées, quand Boucher y suspendit ses lèvres. Qui le croirait cependant ? Boucher fut une des plus saisissantes expressions de tout un siècle. En effet, durant cinquante ans, le XVIIIe siècle ne fut-il pas, comme Boucher, folâtre, riant de tout, courant du caprice à la moquerie, s’enivrant de légers mensonges, remplaçant l’art par l’artifice, vivant au jour le jour, sans souvenirs, sans espérances, dédaignant la force pour la grace, éblouissant les autres et lui-même par des couleurs factices ? Quand la poésie et le goût s’égaraient si volontiers avec l’abbé de Voisenon et Gentil-Bernard, quand la musique chantait par la voix de Philidor, qui s’étonnera que la peinture ait joué avec le pinceau de Boucher ?

II.

Ce peintre est né à Paris en 1704. À voir un de ses tableaux, on sent tout de suite qu’il a habité les pierres et non les champs. Il n’a jamais pris le temps de regarder ni le ciel, ni la rivière, ni la prairie, ni la forêt ; on se demande même s’il a jamais vu sans prisme un homme, une femme ou un enfant tel que Dieu les fait. Boucher a peint un nouveau monde, le monde des fées, où tout s’agite, aime, sourit d’une autre façon qu’ici bas. C’est un enchanteur qui nous amuse, nous distrait, nous charme et nous éblouit aux dépens de la raison, du goût et de l’art ; il rappelle un peu ce vers du cardinal de Bernis, digne poète d’un tel peintre :

À force d’art, l’art lui-même est banni.

Il y avait eu des peintres du nom et de la famille de Boucher : un entre autres qui a laissé de merveilleux dessins à la sanguine sur des sujets mythologiques. Celui-là fut le maître de Mignard ; Mignard donna des leçons à Lemoine, Lemoine à Boucher, de sorte que ce