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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

qu’ils veulent dans ces saturnales, et trouver à propos une excuse et une excitation. M. Bruno Bauer et M. Feuerbach sont persuadés peut-être qu’ils travaillent à la gloire de Dieu. Je citerai un exemple, entre mille, de ces transformations. Un des résultats de la métaphysique allemande était de nous découvrir la substance, l’être, la divinité au fond de nos cœurs ; au lieu de s’élever arbitrairement à Dieu, elle nous faisait descendre dans nos ames, et là, dans le fond le plus intime de nous-mêmes, elle retrouvait cette divinité vivante à laquelle tient notre être, elle nous montrait sa grace dans le premier mouvement de désir et d’amour du bien qui est le fondement de notre existence. Que devient cette sublime théorie chez M. Bruno Bauer ou chez M. Feuerbach ? Il est dit que le Dieu d’autrefois a disparu ; les fantômes qui troublaient nos esprits se sont enfuis ; quoi encore ? L’horizon est purifié, Dieu n’y est plus. Quant à la preuve de tout cela, M. Bruno Bauer l’a trouvée ; c’est qu’il suffit de prononcer le nom du créateur pour exciter généralement le plus profond ennui. C’est ainsi qu’un hégélien de la jeune école, fin, léger, spirituel, et sans aucune fatuité impertinente, traduit pour la pratique quotidienne un principe métaphysique ! Sérieusement, que dire de ces parodies, et peut-on salir à ce point la pensée ?

Il eût été désirable que l’autorité de quelque grand nom, de quelque système souverain, fît rentrer de tels écrits dans le néant : cela eût mieux valu sans doute que la persécution ; mais la science ne produisait rien de sérieux qui pût la défendre, et les Annales de Halle furent supprimées. Exilée de la Prusse, la jeune école hégélienne se retira en Saxe. Son journal se constitua à Leipzig sous un titre différent : ce furent désormais les Annales allemandes. Il faut lire dans les premiers numéros les menaces adressées à la Prusse. Voici, en effet, une des crises les plus importantes que j’aie à signaler dans cette rapide histoire de l’influence de Berlin sur l’Allemagne. La Prusse avait voulu représenter les intérêts de la pensée, elle avait long-temps aidé au développement de la philosophie ; mais, parce qu’elle repousse cette science indigne, elle va paraître interrompre son œuvre, et on la menacera de perdre cette suprématie qu’elle atteignait déjà. Les deux premiers numéros du nouveau journal, des 2 et 3 juillet 1841, contenaient une introduction de M. Arnold Ruge, écrite de ce style parfois brillant, plus souvent hautain et dédaigneux, qui est propre à cette école. « Nous acceptons, disait M. Ruge, l’exil qu’on nous fait, et nous vous remercions. L’exilé, le voyageur, ne voit-il pas le soleil se lever sur des horizons nouveaux ? Ainsi partons-nous gaiement ;