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LETTRES PARISIENNES.

querie, de la foi poétique et des prosaïques réalités, en un mot de l’enthousiasme et du désenchantement. Voilà où il fallait se tenir. Je sais gré, pour ma part, à Mme de Girardin, d’avoir cru, avec Béranger et Alfred de Musset, qu’il était permis d’avoir de l’esprit en vers. Nos lyriques modernes prennent de grands airs dédaigneux, quand on leur parle de cette veine originale, aimable, tout-à-fait propre à notre littérature, et d’où sont sorties tant de bagatelles exquises. Il y a tel fabliau gausseur d’un trouvère, telle gentille épigramme de Marot, tel rondeau de Voiture galamment troussé, tel dizain sémillant de Gresset, qui, au goût de plus d’un, valent bien certaines pages de nos épopées humanitaires ou certaines strophes de nos bardes les plus grandioses. On aura beau dire, l’esprit ne fera jamais scission complète avec la poésie dans un pays qui compte parmi ses maîtres La Fontaine et Voltaire. Il y a donc justice à féliciter l’auteur de Napoline d’être revenu des premiers vers cette source de la vieille malice française, tout en comprenant ce qu’il y a de plus sérieux et de bien autrement profond dans les modernes inspirations de la poésie. Mais, hélas ! notre temps est ainsi fait que tout y manque de mesure : avez-vous une qualité, aussitôt vous y appuyez sans relâche, sans scrupule, vous la poussez à bout, vous la gâtez, vous en faites presque un défaut. Ainsi en est-il arrivé, ou à peu près, à Mme de Girardin. Se sentant à l’aise, et comme chez elle, dans ce facile domaine de la raillerie, elle en a abusé à tout propos, elle s’est même imaginé, à la longue, que l’esprit pouvait dispenser de certaines convenances. Cela pourrait être vrai ailleurs qu’en France ; en France, par malheur, si c’est presque une convenance d’avoir de l’esprit, c’est assurément être infidèle à l’esprit que de l’être aux convenances. On vit dès-lors les noms propres, les pires allusions, se glisser sous cette plume enjouée, qui devint une arme pour les rancunes. Ce fut, on en conviendra, un singulier spectacle, et tout-à-fait digne de notre époque, que celui d’une femme poète, armant sans façon sa muse de la canne d’un trop célèbre romancier, et la faisant ainsi courir sus, durant les cinq actes d’une médiocre comédie, à ces mêmes journalistes qu’elle venait précisément de se donner pour confrères.

La coïncidence était étrange et n’a certainement échappé qu’à Mme de Girardin. Un critique, dans cette Revue, rappelait l’autre jour je ne sais plus quel mot piquant de M. Michaud. On en pourrait citer des centaines. Quelqu’un, dans une visite, raillait le vieil académicien sur sa polémique arriérée de la Quotidienne : « Que vous