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pousser sa période, pour arriver au but. Mme de Girardin, à qui ces remarques sont loin de s’adresser toutes, dit quelque part, à propos de ces femmes du monde qui font tout pour ne pas laisser tomber la conversation dans leur salon : « N’avoir rien à dire chez nous n’est point une raison pour ne pas parler. » L’auteur des Lettres Parisiennes, il faut l’avouer, use quelquefois de la recette ; son embarras alors se trahit. On a un courrier à écrire ; la matière manque, il faut bien s’en tirer par d’ingénieux expédiens. On laisse donc trotter sa plume avec toute sorte de fantaisies et d’adorables caprices. Quelquefois cependant cette plume s’éraille ; mal disposée, elle s’oublie, elle se perd dans les développemens. C’est alors que viennent en chœur les petites apostrophes, les petites exclamations, les petites énumérations, les petites invocations, toute une rhétorique gentille, minaudière, quintessenciée, mais fatigante, et qui n’est, malgré le précieux de ses déguisemens, que de la rhétorique toute pure. Trop souvent donc la phrase s’étire et languit, l’idée vient et revient avec insistance, afin d’atteindre l’étendue prescrite. Cela taquine, et, par contraste, le mot de Mme de Sévigné ne manque pas de revenir à la mémoire du lecteur : « Mes pensées, mon encre, ma plume, tout vole. » Cette faculté-là fait peut-être envie au feuilleton, mais elle lui manque. — Malgré nos réserves, nous conviendrons sans peine que le courrier de Paris représente le feuilleton fashionable dans sa fleur. Si virile, en effet, que veuille se faire la main d’une femme, elle est toujours sûre de retrouver, à certains momens, la grace et la délicatesse.

Aujourd’hui, ces feuilles éparses reparaissent, signées tout au long, sous forme de livre et avec le titre nouveau de Lettres Parisiennes. Le galant pseudonyme de vicomte de Launay n’avait pas été long-temps un mystère, et d’ailleurs, rien qu’à ces colifichets de mode dont il parlait avec une passion si sincère, rien qu’à le voir gravement broder sa tapisserie, rien qu’à l’entendre glisser un mot en passant sur sa longue chevelure dorée, on devinait quelque mascarade, on entrevoyait, sous le rouge et les mouches, des traits fort peu masculins. Ce demi-jour pourtant, cette publicité inavouée, semblaient, de la part d’une femme et dans une carrière si tumultueuse, un reste heureux de réserve, un dernier hommage au bon goût ; mais l’amour de l’arène, la passion du cirque, l’ont à la fin emporté. L’auteur des Lettres Parisiennes n’y tenait plus ; il lui fallait absolument se déclarer et prendre à son propre compte les trophées militaires du vicomte Charles de Launay. Arrière donc nos